lundi 3 mai 2010

Sauvés par la pluie !



Un texte de Charles Hudon

Un désastre à la fois ! Comme si Dame Nature avait voulu donner un répit au gouvernement chinois après le récent tremblement de terre qui eut lieu dans la province du Qinghai, la pluie tomba finalement sur le grand Kunming. 23 avril, 20h30, en plein milieu d’un cours, le tonnerre se fait entendre. La quasi-totalité des étudiants se ruent à la fenêtre. Un orage! Et tout un! De mémoire, il n’avait pas plu depuis le mois de septembre. Déshabitué, je n’avais bien évidemment pas amené mon parapluie avec moi. Je rentrai au dortoir trempé, mais je m’interdis de me plaindre en pensant aux millions de Chinois qui manquaient jusqu’ici cruellement d’eau.

Serait-ce la fin du temps sec ? Nous l’espérons tous. Il faudra définitivement beaucoup d’eau pour abreuver un Yunnan où les précipitations, déjà normalement peu fréquentes en hiver, ont cette année presque complètement disparu. La pire sécheresse en plus de 100 ans. La situation était si anormale et désastreuse que la nouvelle fit vite le tour du globe. Un appel en provenance de mes parents, inquiets, me fit prendre connaissance de cette couverture médiatique.

Je les rassurai en leur disant que je n’avais pas été directement touché par ce débalancement climatique. Quelques inconvénients mineurs certes, mais contrairement à plusieurs autres villes et villages de la région, Kunming n’imposa pas de coupure en eau à ses résidents. Curieux, je leur retournai ensuite la question. Est-ce que vos vies ont été affectées par cette sécheresse? Ils ne prirent pas ma question au sérieux. Pourtant, je l’étais...



Dans un article « The peak oil crisis: China’s latest drought », Tom Whipple me fit réaliser que si la sécheresse avait dû se prolonger, elle aurait pu avoir des répercutions en dehors de la Chine, principalement en raison de l’effondrement de la production hydroélectrique.

L’histoire commence en 1949. Dès la victoire communiste, le Parti est déterminé à mettre le pays sur la voie de la modernité. Pierre angulaire du développement technologique et industriel, l’électrification du pays se retrouve en tête de liste des priorités du nouveau gouvernement. Le potentiel hydroélectrique retient particulièrement l’attention. Partout, en Chine, les barrages se construisent à un rythme effréné, n’ayant d’égal nulle part ailleurs dans le monde. En 60 ans d’histoire, plus de 87 000 barrages voient le jour. Tout y passe. De la simple digue de préventions des inondations à l’écluse ne servant qu’à alimenter quelques foyers, Pékin passe finalement, en 2006, à la construction du plus grand barrage hydroélectrique au monde. Aujourd’hui, près de 50% de ce type d’installation de production énergétique se trouvent en territoire chinois.

Au milieu des années 80, l’hydroélectricité vit ses moments de gloire en Chine. À cette époque, elle compte pour un tiers de la consommation totale d’électricité du pays. À partir de ce moment cependant, jugeant la construction de centrales au charbon plus facile et moins couteuse, le Parti commence à mettre tranquillement ce médium de coté.

Au début des années 2000, face à des problèmes environnementaux grandissants, Pékin commence à revoir sa stratégie. Depuis la deuxième moitié de la décennie, on assiste à un véritable retour du pendule. La Chine veut de nouveau accroître rapidement sa production hydroélectrique, qui compte aujourd’hui pour 21.77 % de sa production totale en électricité.

La sécheresse vint, en quelque sorte, faire payer la Chine pour ses bonnes intentions. L’essentiel du problème réside dans le fait que les deux tiers des ressources hydroélectriques chinoises se trouvent dans le sud-ouest de la Chine, où les conditions de sécheresse furent les plus sévères. Dans la région, 310 réservoirs et plus de 600 rivières se retrouvèrent complètement à sec.

Le Yunnan, qui génère habituellement des surplus hydroélectriques vendus aux provinces et pays voisins, a été forcé de mettre un terme à ses exportations. À l’occasion du Nouvel An chinois, c’est plutôt la province du Guangdong, l’un des plus grands consommateurs d’hydroélectricité yunnanoise, qui offrait 350 millions de kilowatts-heures d’électricité en cadeau à cette province.

Dans le Guangdong, principal pôle industriel du pays, la situation n’était pourtant pas plus enviable. Le niveau d’eau du lac approvisionnant la région du Delta de la Rivière des Perles tomba à moins d'un quart du niveau normal. Les barrages hydroélectriques, qui produisent normalement près d'un tiers de l'électricité de la province, fonctionnent toujours à très basse puissance en raison de la faible pression d’eau. Alors que Pekin s’est fixé l’objectif de faire croître son économie de 10% cette année, ces récentes pénuries d’électricité n’annoncent rien de rassurant. En résulte que si la pluie ne se met pas à tomber plus vigoureusement, la Chine se verra forcée de se tourner vers d’autres formes d’énergies.

Logiquement, on peut d’abord s'attendre à voir la Chine augmenter sa consommation de charbon. Une utilisation grandissante de ce combustible hautement polluant, outre les conséquences environnementales, viendra mettre de la pression sur le prix des cours mondiaux. Pékin, largement autosuffisant en charbon a, cette année, prévu que l’augmentation envisagée de 7% de sa consommation ne serait satisfaite qu’à 45% par la production locale, le reste provenant des importations. Ces prévisions furent faites avant la sécheresse...

Outre les prix du charbon, les prix de l’essence risquent aussi d’être affectés par le temps sec. Ces dernières années, aux prises avec des coupures en électricité, les grands producteurs chinois compensèrent par l’utilisation de grosses génératrices au diésel. Les importations de la Chine en pétrole ont déjà commencé à augmenter, ce qui peut venir expliquer en partie pourquoi l’on paie aujourd’hui le litre d'essence plus d’un dollar au Québec. Heureusement, la pluie qui commence à tomber devrait faire diminuer la demande chinoise en pétrole... tout comme les prix à la pompe.

Loin de moi l’idée de vouloir blâmer la Chine pour ses changements dans l’équilibre international, ma réflexion visait surtout à souligner l’état d’interdépendance dans lequel nous vivons présentement. Le grand responsable reste, évidemment, le climat et les plus grandes victimes les Chinois du Sud. Les préoccupations des consommateurs occidentaux font figure de poids plume face à l’urgence de venir en aide aux millions de paysans qui, bien qu’ayant aujourd’hui de quoi à boire, ont vu leur gagne-pain ruiné par la sécheresse.

Si jusqu’à présent, la Chine répond efficacement à la situation, il est à souhaiter qu’à long terme, des politiques plus efficaces prenant en considération la protection de l'eau soient mises de l’avant.

En effet, bien que la cause principale de la sécheresse soit le manque de précipitation, un ensemble de sous-facteurs contribua définitivement à exacerber la crise. L'exploitation forestière, la déforestation ainsi que la dégradation générale de l’environnement dans la région sont pointées du doigt. Ces activités humaines ont grandement contribué à affaiblir la capacité des sols à retenir l’eau. Bon nombre de militants écologistes croient que le gouvernement a en fait aggravé le problème en faisant la promotion de politiques visant le remplacement de la forêt par des plantations d’eucalyptus, d’arbres à caoutchouc ainsi que de nombreuses autres espèces non locales, beaucoup moins aptes à conserver l'eau que les forêts d'origines. La mousson et les sécheresses sont des phénomènes habituels, mais les forêts naturelles peuvent aider à retenir un certain excédant d'eau qui sert ensuite à humidifier les périodes sèches. De manière plus générale, la pollution n’a bien évidemment rien fait non plus pour aider. Bon nombre de lacs et de rivières qui parsèment le sud de la Chine sont aujourd’hui tellement pollués qu’il est impossible de les utiliser, ne serait-ce que pour l’irrigation.

Cette sécheresse fut la pire depuis un siècle, mais elle servit aussi à démontrer la fragilité de l’écosystème chinois, qui doit dorénavant être pleinement pris en considération lorsqu’il est question de plans de développement économique. La Chine doit saisir l’occasion offerte par ce désastre naturel pour regarder au-delà des responsabilités attribuables à Dame Nature pour analyser l’impact humain, sous peine de quoi, elle pourrait se voir confrontée à des problèmes beaucoup plus graves dans le futur.

En attendant, alors que d’épais nuages gris commencent à remplacer le ciel bleu azur qui caractérisait le Yunnan depuis les 8 derniers mois, les températures idylliques auxquelles je m’étais habituées commence déjà à me manquer...Ainsi va la vie.

Charles Hudon à Kunming

1 commentaire:

philippe_wang a dit…

Le Yunnan reste aujourd'hui l'une des régions les plus touchées par la sécheresse. Et cela s’aggrave d’année en année.