lundi 8 mars 2010

Quitter la Chine pour aller rejoindre les maoïstes…



Un texte de Charles Hudon

Le mois de février permet généralement à une majorité de Chinois de prendre des vacances. Les travailleurs profitent d’une semaine de congé pour célébrer le nouvel an, tandis que les étudiants se reposent pendant près de 5 semaines en attendant le début du semestre printanier. Il n’est donc pas difficile d’imaginer que le deuxième mois de l’année se transforme habituellement en période migratoire. Pour les étudiants étrangers, la situation est la même. Cette année, j’ai profité de mes vacances hivernales pour me rendre au Népal, pays où l’héritage intellectuel de Mao Zedong jouit d’une influence considérable, n’ayant d’égal dans aucune autre région du monde.

Les Maoïstes népalais ayant quitté le pouvoir il y à peine 10 mois, je m’attendais à voir des marques évidentes d’un Népal « sinisé ». À peine descendu de l’avion, je comprenais que les affinités idéologiques qui pouvaient potentiellement rapprocher le parti le plus important au sein de l’assemblée consultative népalaise et la Chine faisaient figure de poids plume face à tout ce que représente le géant indien pour le Népal. En effet, les liens culturels et historiques qui unissent ces deux voisins depuis des temps immémoriaux, couplés à d’importants et réguliers contacts humains ainsi qu’à des relations économiques florissantes, donnent au Népal des airs de véritable banlieue indienne.



Le tableau régional évoluant rapidement en Asie, certains indices laissent penser que cette situation pourrait être appelée à changer dans les années à venir. Les plus petites batailles pouvant parfois se révéler décisives au sein d’une stratégie globale, la Chine accorde aujourd’hui une attention grandissante à son voisin himalayen. Bien que sa signification en termes de production, de développement technologique et de potentiel comme marché d’exportation soit limitée, sa situation géographique donne au Népal une importance géopolitique que la Chine ne peut plus se permettre de négliger.

Regarder vers le Sud

Avec l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1979, la Chine abandonne définitivement ses visées expansionnistes. De menace potentielle, la Chine entame un processus qui vise à cultiver des relations économiques et stratégiques harmonieuses avec ses voisins asiatiques afin de renforcer sa position en tant que puissance régionale. En Asie du Sud, les prétentions chinoises entrent cependant en conflit avec celles d’une autre superpuissance régionale : l’Inde. Des affinités tant historiques que géographiques, culturelles, linguistiques, ethniques et sociales, voire même des liens familiaux, unissent la région à l’Inde, ce qui lui concède une longueur d’avance dans cette lutte d’influence. Cette réalité a forcé la Chine à mettre sur pied une politique de « Regard vers le Sud », qui se veut principalement une réponse à la politique du « Regard vers l’Est » indien. Grâce à celle-ci, la Chine a su accroitre sa présence dans des pays tels que le Pakistan, le Sri Lanka et le Bangladesh, mais le travail à faire reste encore considérable.

Le Népal constitue une variable essentielle au sein de la stratégie globale chinoise en Asie du Sud. Celle-ci vise, entre autres, à nouer des liens privilégiés avec les voisins immédiats de l’Inde dans le but de marginaliser son influence. L’emplacement géographique particulier du Népal amène les stratèges chinois à vouloir lui faire jouer un rôle de passage permettant d’unifier la Chine à l’Asie du Sud. En plus d’ouvrir une route qui lui permettrait d’accroitre sa présence stratégique dans ce qui est considéré par l’Inde comme sa sphère d’influence traditionnelle, une présence accrue au Népal permettrait à la Chine de capitaliser sur le potentiel hydroélectrique népalais dormant, évalué à 83,000 mégawatts.

Les 5 doigts de la main

Quelques années à peine après la victoire communiste en Chine, Mao Zedong mettait de l’avant la politique des cinq doigts de la main. Celle-ci insistait sur l’importance de faire jouer au Bhutan, au Ladakh, au Sikkim, à l’Arunachal Pradesh et au Népal un rôle de tampon entre l’Inde et la Chine. Près de 60 ans plus tard, on constate que la grande majorité de ces « doigts de la main » furent amputés par l’Inde. Depuis les émeutes tibétaines de 2008, la Chine reprend conscience de l’importance du « doigt » népalais. Avec une population de réfugiés tibétains se chiffrant à plus de 20 000 personnes, Pékin cherche à s’assurer que le gouvernement coopère et voit à ce que le Népal ne serve pas de base d’opération à des activités « antichinoises ». Pékin perçoit dorénavant la stabilité du Népal comme un facteur essentiel à la stabilité de l’Ouest chinois.

Une stratégie : le modèle chinois

Dans le but d’arriver à ses fins, la Chine prend les grands moyens. Fidèle aux habitudes développées en Afrique, elle déroule littéralement le tapis rouge et traite le Népal comme aucune autre superpuissance ne l’avait fait auparavant. Dans le but de renforcer ses relations avec le Népal, la Chine a mis sur pied une stratégie en 4 volets qui vise :

1) À accommoder les préoccupations népalaises;
2) À renforcer la coopération économique selon des principes « gagnant-gagnant »;
3) À stimuler les contacts et échanges culturels entre les deux peuples et;
4) À renforcer la coopération entre la Chine et le Népal sur la scène régionale et internationale.

Pour séduire le Népal, la Chine joue la carte du « soft power » avec brio. Dès 2005, l’ambassade de Chine au Népal ouvre la « Nepal-China Mutual Cooperation Society », organisme ayant comme objectif de renforcer les relations diplomatiques entre les deux pays tout en diffusant une image d'une Chine « amicale », par opposition à une Inde « hégémonique ». La mise en place d’un important réseau de Centres d’Études Chinoises, centres entièrement financés par Pékin et dédiés à faire la promotion des relations sino-népalaises, se veut un autre maillon dans cette stratégie « coup de cœur ». Autre exemple probant, la station radiophonique « China Radio International », qui lançait dernièrement une station FM basée à Katmandu ayant comme mission de « rapprocher la Chine du Népal ».

Ce volet plutôt dynamique de la stratégie chinoise contraste vivement avec l’attitude passive de l’Inde qui, dû à des similitudes en termes de culture et de traditions, a souvent tendance à prendre le Népal pour acquis. En résulte que la balance penche aujourd’hui de plus en plus en faveur de la Chine au sein de l’opinion publique népalaise qui la perçoit, à tort ou à raison, comme un pouvoir coopératif bien intentionné.

Conscient des limites d’un « soft power » qui ne serait accompagné d’engagements concrets, la Chine multiplie les projets d’assistance économique, de prêts à taux avantageux, développe des infrastructures et offre des exemptions de tarifs douaniers à une panoplie de produits népalais. Les projets qui retiennent le plus l’attention sont sans doute ceux d’autoroute reliant Lhassa à Khasa, ville située à 80 kilomètres de Katmandu, ainsi que de prolongement du chemin de fer Lhassa/Golmud jusqu’à la frontière népalaise.

En plus de s’impliquer économiquement, l’intérêt que la Chine porte à son voisin peut aussi être perçu du point de vue militaire. En septembre 2008, par exemple, la Chine annonçait le versement d’une aide militaire d'une valeur de 1,3 millions de dollars au Népal, la première du genre accordée au nouveau gouvernement maoïste. Puis, au mois de décembre, elle promettait de débloquer 2,6 millions de dollars supplémentaires en assistance reliée au secteur de la sécurité népalaise.

Retour vers le futur?

Cette stratégie semble placer la Chine en bonne position au Népal, qui a maintenant le vent dans les voiles. Conscient qu’une brise favorable peut vite se transformer en tempête, un bon navigateur doit cependant toujours rester prudent face au vent qui se lève. Se pourrait-il que la Chine marche en terrain miné? Construction de routes, assistance militaire… cela ne nous rappelle-t-il pas quelque chose?
Nous somme en 1988. Le Népal vient de se porter acquéreur d’une importante quantité d’armes chinoises. Quelques semaines plus tard, la Chine met de l’avant son projet de construction de routes qui vise à relier la Chine au Népal. Il n’en faut pas plus pour que l’Inde se sente menacée et réagisse. En guise de représailles, elle lève un embargo commercial contre le Népal, ce qui place son voisin en véritable état de siège. Les conséquences économiques liées à ce blocage commercial sont énormes. Des pénuries de carburants, de sel, d’huile végétale et de nourriture se font bientôt sentir. L’industrie touristique entre en récession. Privés de gaz pour le chauffage, les népalais sont forcés de se tourner vers la ressource forestière déjà menacée, causant d’importants dommages environnementaux. Pris à la gorge, le Népal se rétracte. Le petit pays concède plusieurs privilèges commerciaux à l'Inde et demande à la Chine de retenir la livraison d’armes.

Quelle leçon la Chine a-t-elle tirée de cette expérience? Le passé étant souvent garant du futur, nous sommes en droit de penser que l’Inde ne regardera pas le récent rapprochement Chine-Népal sans rien faire.

La façon dont le gouvernement maoïste a été forcé d’abandonner le pouvoir laisse penser que l’Inde a déjà commencé à réagir. Alors que les maoïstes formaient le gouvernement, la Chine avait affiché ouvertement son appui au projet népalais de limoger le chef de l’armée nationale dans le but d’intégrer l’armée maoïste à celle-ci. L’Inde, elle-même aux prises avec une guérilla maoïste dans le nord-est de son pays, voyait naturellement d’un mauvais œil la « maoïsation » de l’armée népalaise. Ses craintes l’auraient amenée à faire tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher la mise en œuvre de ce projet, avec le résultat que nous connaissons. Quelques semaines plus tard, l’échec du premier ministre népalais sur cette question forçait les maoïstes à quitter le pouvoir. Bien que la presse nationale ait présenté l’évènement comme une crise à caractère strictement national, l’épisode doit définitivement être perçu comme une victoire indienne dans le bras de fer népalais qui l’oppose à Pékin. Forte d’une confiance retrouvée, la Chine ne semble pas s’être laissée intimider et continue plutôt sur sa lancée.

Qui sortira gagnant du face à face sino-indien au Népal? Difficile à dire, mais l’option la plus probable reste encore le Népal. S’il réussit à bien jouer ses cartes en balançant ses relations avec les deux géants qui l’entourent, le Népal devrait pouvoir profiter grandement de la conjoncture actuelle. Avec un quart de sa population vivant sous le seuil de la pauvreté, un taux de chômage dépassant les 46% et l’inflation progressant à un rythme de 13% annuellement, c’est le moins que nous puissions lui souhaiter.

Charles Hudon
À Katmandu

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