lundi 22 mars 2010

Que reste-t-il de la fraternité révolutionnaire en Chine?



Une analyse de Charles Hudon

Depuis leur abdication du pouvoir en mai dernier, les maoïstes népalais redoublent d’efforts dans le but de faire tomber le gouvernement. Leur stratégie : créer le chaos social par l’agitation et la violence. Plaçant généralement la stabilité régionale en tête de ses priorités, la Chine aurait raison de voir d’un mauvais œil ces événements. Les propos récemment tenus par Prachanda, leader du parti maoïste, laissent cependant penser le contraire. De retour d’un voyage de ressourcement dans le pays de Mao, il confiait aux médias que les tumultes causés par son parti profiteraient en fait de la bénédiction chinoise. La Chine s’étant officiellement retirée de la politique révolutionnaire depuis 1979, ces révélations nous amènent à nous questionner sur la nature des relations qui unissent aujourd’hui ces deux acteurs.



Le maoïsme

En 1949, lorsque Mao Zedong prend le pouvoir, sa pensée est fortement influencée par celle de Karl Marx et de Vladimir Lénine. Le Grand Timonier applique cependant leur doctrine de façon assez particulière, en l’adaptant aux conditions spécifiques chinoises. Lorsque la rupture sino-soviétique survient, les spécificités du modèle chinois attirent une attention nouvelle. Soudainement, la Chine se retrouve à jouer un rôle phare dans la lutte antirévisionniste internationale. La pensée de Mao gagne en popularité, jusqu’à finalement être considérée comme un système idéologique distinct.

Le maoïsme séduit. Dans les années 70, plusieurs centaines d'organisations maoïstes militent en Europe. Au fil des années, des pays tels le Pérou, le Japon, les Philippines, voire même les États-Unis et le Canada, doivent apprendre à vivre avec la présence de leurs partis maoïstes nationaux. Pendant ce temps, en Chine, l’influence de la pensée maoïste est en chute libre. L’héritage de Mao est malmené par l’arrivée d’un Deng Xiaoping qui fait passer la croissance économique devant la pureté idéologique. Bien que le maoïsme ne disparaisse pas complètement de la Chine, il demeure principalement confiné aux livres d’histoire et d’éducation politique. En résulte qu’aujourd’hui, bien que les dirigeants pékinois se réclament toujours de la pensée du Père de la Nation, celle-ci reste grandement exclue du domaine de la pratique.

Les maoïstes népalais

Ironie du sort, alors qu’au plus fort des années de guerre froide, aucun parti maoïste ne réussit à s’emparer du pouvoir en Asie, celui du Népal s’impose actuellement comme la force politique la plus importante dans ce pays.
Le parti voit le jour en 1994. Dès sa création, ses dirigeants affichent leurs préférences pour la lutte armée. Il ne suffit que de deux ans avant de voir l’Armée de Libération Nationale rejoindre les montagnes afin de mettre en pratique sa stratégie de guérilla révolutionnaire. En 2006, plus de 13 000 morts plus tard, les maoïstes et le gouvernement signent un accord de paix qui permet aux ex-guérilléros d’intégrer le système politique. Deux ans plus tard, Prachanda est élu Premier Ministre du Népal.

Face à ce « success story », plusieurs cherchent à savoir ce qui se cache derrière l’organisation révolutionnaire. Faire la guerre coûte cher. Les bases d’appui du parti provenant principalement des campagnes pauvres, comment celui-ci a-t-il pu soutenir la mobilisation de ses quelques 40 000 activistes armés pendant si longtemps? Par un jeu d’associations épistémologiques un peu simpliste, les regards se tournent naturellement vers la Chine. Avons-nous raison de la suspecter de la sorte?

Le grand amour ?

Il ne suffit, en fait, que de faire un bref survol de l’histoire des années de guérilla maoïste pour blanchir la Chine. Celle-ci partage une frontière « poreuse » de près de 1000 km avec son voisin népalais. Elle est particulièrement consciente du fait qu’une situation qui dégénère dans ce pays risque fort d’avoir des effets désastreux sur la stabilité du Tibet. Dans ce qu’elle décrit comme « la tâche de mettre fin aux activités des terroristes népalais », elle choisit d’offrir son support à la monarchie au pouvoir. La stabilité du Népal est vue comme la priorité absolue, les conditions de vie des déshérités qui y vivent passent loin derrière. À plusieurs reprises, la Chine condamne sévèrement les actions maoïstes, organisation qu’elle refuse de reconnaître officiellement. Elle prend soin de ne jamais prononcer le nom de ce mouvement révolutionnaire, optant plutôt pour l’appellation « groupe armé antigouvernemental ». Pékin ne manque pas une occasion de rappeler qu’à ses yeux, les maoïstes népalais ne sont qu’une bande d’imposteurs qui salissent le nom de Mao Zedong. À Pékin, on s’inquiète du fait qu’une publicité négative associée au maoïsme puisse éventuellement nuire à l’image internationale de la Chine.

L’attitude de Pékin n’arrive pas à faire reculer le Parti communiste népalais (PCN). Au sein du PCN, la Chine est de toute façon considérée comme un exemple à ne pas suivre en matière de pureté révolutionnaire. Pour bon nombre de membres du parti, la Chine a commis le crime impardonnable d’avoir sacrifié l’idéal communiste sur l’autel de la croissance économique. Encore aujourd’hui, plusieurs puristes népalais perçoivent la Révolution culturelle comme un « incritiquable ». Cette attitude contraste vivement avec l’opinion que ceux-ci ont de Deng Xiaoping, qu’ils identifient comme le grand responsable de la dilution idéologique qui fut menée au profit d’une modernisation accélérée. Plusieurs factions au sein du PCN soutiennent que ce dont la Chine aurait le plus besoin actuellement, ce soit d’une deuxième Révolution culturelle.

Depuis 2008

La prise du pouvoir maoïste force les deux partis à revoir leurs positions. Les ennemis d’hier entament un rapprochement. Soucieux de contrebalancer l’influence excessive que l’Inde exerce sur le pays, la Chine demeure la seule alternative qui s’offre au nouveau gouvernement. Les maoïstes ne se montrent pas rancuniers et acceptent de coopérer avec Pékin sur les questions entourant la stabilité au Tibet. Leurs relations se normalisent.

Après avoir quitté la direction du pays, la reprise des activités de déstabilisation de la part des maoïstes aurait dû créer un froid entre ces nouveaux amis. Les récentes affirmations de Prachanda laissent cependant croire que son parti bénéficie toujours de la bénédiction chinoise. Alors que le nouveau gouvernement du Népal a garanti la continuité des politiques mises de l’avant par les maoïstes à l’égard de la Chine, pourquoi continuer à les soutenir? La réponse prend peut-être des tournures spirituelles.

L’opium du peuple

Le Népal est une nation majoritairement hindouiste. Manifestation vivante de la culture indienne, cette religion donne à l’Inde et au Népal un ensemble de coutumes et de rites communs qui crée des liens privilégiés entre ces nations, liens qu’aucun projet de développement économique chinois ne pourra jamais égaler. Cet ancrage « civilisationnel » donne des maux de tête à la Chine. Le projet de pénétration du Népal, vu comme un élément clé dans la politique chinoise du « Regard vers le Sud », n’avance pas nécessairement aussi rapidement que souhaité. La variable hindouiste, qui favorise constamment l’Inde, au détriment de la Chine, y joue pour beaucoup.

Adeptes du principe marxiste qui voient la religion comme l’opium du peuple, les maoïstes népalais sont sans doute les candidats les plus susceptibles d’apporter une aide à la Chine dans ce dossier. Lors de leur récent séjour au pouvoir, le travail fut mis en marche. En mai dernier, les maoïstes faisaient passer une résolution qui abolissait la seule monarchie hindouiste au monde pour la remplacer par une république laïque. Conscients qu’un simple décret risquait d’avoir fort peu d’effets tangibles sur la situation spirituelle du pays, les maoïstes s’en prirent ensuite physiquement au temple Pashupatinath, l’un des plus importants symboles hindouistes du Népal.

Lors d’une entrevue qu’il donna à l’« International Humanist and Ethical Union », Baburam Bathattarai, l’idéologue du parti, s’exprimait ainsi : « Nous sommes marxistes et matérialistes. Nous devons faire beaucoup plus que de simplement séparer la religion et le gouvernement (…) Il y a aujourd’hui plus de programmes à caractère religieux sur les ondes de la télévision népalaise que tout autre type d’émissions. Les diffusions glorifiant les “Ramayana ” ainsi que les “Mahabharatha ” sont parmi les plus populaires. Polluer de cette façon l’âme de la jeunesse est hautement dommageable pour notre société. La religion n’a pas sa place à l’école, pas plus qu’elle en a dans les programmes publics. Nous devons décourager ce genre de croyances et de valeurs, ce qui fera éventuellement disparaître complètement la religion du Népal ».

À quelques détails près, les partis politiques népalais ont tous des plateformes similaires à l’égard de la Chine. L’attitude maoïste en regard à la religion, couplée au sérieux de leur démarche démontré par la prise de mesures concrètes lors de leur passage au pouvoir, représente définitivement un avantage comparatif aux yeux de la Chine. Voilà sans doute la variable la plus susceptible d’expliquer le soutien que Pékin semble vouloir continuer d’apporter aux maoïstes et ce, malgré la reprise de leurs activités de déstabilisation. Un Népal dépourvu de son identité hindouiste faciliterait la propagation de l’idéologie maoïste dans le pays, ce qui créerait du même coup un environnement favorable à la pénétration chinoise.

Cette lecture des derniers développements survenus dans les relations Chine/maoïstes confirme une fois de plus le fait que Pékin ait définitivement mis de côté le principe de « fraternité révolutionnaire » dans la poursuite de ses relations internationales. Dans les années qui suivirent la fondation du groupe rebelle, la Chine n’avait ni financé, ni aidé l’organisation. Au contraire, elle choisit plutôt de jouer de son influence pour lui mettre des bâtons dans les roues. Ce n’est qu’une fois les maoïstes au pouvoir que la Chine commença à se rapprocher de ceux-ci. Les affinités idéologiques n’y étant pour rien, la Chine ne serait plutôt motivée que par des calculs pragmatiques cherchant à améliorer sa position à long terme en Asie.
Cette attitude semble vouloir lui sourire. L’idée d’exporter ses idées à la pointe du fusil lui coûta très cher par le passé. Les succès furent pour le moins limités, les ennemis ainsi créés, nombreux. Pacifiste, le nouveau style diplomatique chinois, additionné à des résultats économiques exceptionnels, change complètement la façon dont plusieurs pays perçoivent la Chine. Ne se trouvant plus sous le poids de la menace, bon nombre d’entre eux décident désormais d’imiter volontairement ce qui est aujourd’hui considéré comme « le modèle chinois ».

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