dimanche 31 mai 2009

Tiananmen et Tank Man: Jeu d'image, jeu de mémoire



La répression, dans le sang, des manifestations étudiants de 1989 sur la place Tiananmen, dont nous marquons la 20e anniversaire cette semaine, a inspiré un geste de résistance des plus émouvant--et des plus connu, mondialement--de la part d'un jeune Chinois connu seulement sous le nom de "Tank Man".



Cliquer ici pour voir le clip vidéo de la confrontation dans son intégralité. Tank Man monte sur le char blindé dans un effort pour parler aux soldats; d’autres Pékinois prennent Tank Man en mains, le sortant de la scène avant qu’il ne se fasse tirer dessus.

Depuis, cette image est rentrée dans notre mémoire collective, à la fois en Chine et en Occident, peut-être plus en Occident qu’en Chine d’ailleurs.



En Chine, au lendemain du bain de sang de 1989, le régime chinois lance une campagne de propagande dans l’objectif de racheter son image, surtout auprès des Chinois qui n’habitent pas dans les grandes villes et n’ont pas assisté aux manifestations. Un des thèmes alors martelés est celui de la violence des manifestants envers des jeunes soldats innocents; une des images mises de l’avant—dont je me rappelle très bien mais que je ne suis pas arrivé à retrouver—est justement celle d’un soldat, le corps noirci par les brûlures, pendu à la tourelle d’un char, lui aussi carbonisé. Les images suivantes permettent de se remettre dans le contexte, même si leur impact reste moindre.














Après 20 ans, les autorités chinoises restent sensibles sur la question; un bloggeur en Chine raconte que l’écran de son ordinateur devient blanc dès qu’il tape « Tank Man » dans Google. Des blogues étrangers—y compris le nôtre, en fait tout ce qui est sur blogspot—sont bloqués en Chine depuis quelques semaines.
En Occident, l’image du Tank Man a connu diverses mutations depuis vingt ans. Certaines gardent l’esprit critique de l’originale, comme celle-ci, qui compare—défavorablement—le « courage » de Google—et par extension d’autres services web occidentaux installés en Chine.

Ou bien celle-ci, plus fine, plus parlante


D’autres s’avèrent moins fines mais peut-être pardonnables –en l’occurrence, on le sait, les Simpsons se foutent de tout et n’importe quoi :



Par contre cette dernière est elle difficilement pardonnable



Chick-fil-a, boîte de malbouffe américaine, nous envoie le message suivant : mangez plus de poulet, moins de bœuf, car les vaches sont plus courageuses. Sans commentaire.

David Ownby

vendredi 29 mai 2009

Explorations : Confucius, Kang Xiaoguang, et l’avenir de la Chine (2)



Kang Xiaoguang, futur confucéen, fait ses études de bacc en mathématiques appliquées, et une fois diplômé en 1986, enseigne pendant 4 ans comme jeune professeur au sein du Département d’agronomie de l’Université de Shenyang, au nord-est de la Chine. En 1990, il entame ses études de maîtrise en écologie à l’Académie chinoise d’études en sciences sociales, à Beijing. C’est au lendemain de l’écrasement des manifestations de Tiananmen, la Chine se fait conspuer par la communauté internationale. La réponse chinoise? Une défense musclée de sa spécificité nationale : la Chine possède une culture et une expérience uniques, lui permettant de définir droits et démocratie comme bon lui semble, et gare aux sales étrangers qui lanceraient des complots contre la Chine sous prétexte de se soucier du bien-être du peuple chinois. Cette vague de nationalisme culturel, qui souffle encore de nos jours, Kang Xiaoguang baigne dedans; il est un étudiant ambitieux qui veut rendre service à la patrie et au peuple.

Diplômé en 1993, Kang se fait nommer chercheur au Centre de recherche en sciences éco-environnementales en 1994, et passe sa première année comme chercheur dans les villages de Guizhou, une des régions des plus pauvres de la Chine. Son but? Étudier de près les causes et les conditions de la pauvreté qui hante la Chine rurale. Il devient alors le champion public des pauvres, publiant des articles et des livres remettant en question la vision « néo-libérale » de l’époque, l’idée que les pauvres méritent leur sort parce qu’ils manquent de la « qualité » (suzhi) nécessaire pour faire mieux. De fil en aiguille, Kang s’implique dans les projets anti-pauvreté à l’échelle nationale, comme le Projet espoir, géré par le China Youth Development Foundation. Cette fondation est le symbole même de l’émergence d’une société civile à la chinoise, des groupes autonomes (ou semi-autonomes) qui prennent forme au cours des années 1990 et remplissent le vide créé par le démantèlement du système socialiste. Kang écrit d’ailleurs des articles et des livres pour fêter la capacité chinoise à se gérer sans l’ingérence de l’État. Kang considère qu’il assiste à la naissance de la nouvelle Chine, après un accouchement long et difficile.

Tiananmen: Bientôt 20 ans et le flou persiste





À première vue, rien n’est flou à propos de Tiananmen lorsqu’on regarde ce qui s’est passé : des manifestations étudiantes s’opposant aux aspects négatifs des réformes de Deng Xiaoping, dégénérant en mouvement social à grande échelle, le tout ayant été laissé mijoter par un gouvernement divisé, jusqu’à ce que l’aile radicale du Parti décide d’éliminer ce mouvement au moyen d’une intervention militaire plus que brutale. Pourtant, après vingt ans de recherches et de souvenirs, les interprétations semblent encore contradictoires, signe que la charge émotionnelle de cet événement n’a rien perdu.

Récemment, le site web du journal Le Monde a mis en ligne un montage multimédia à partir des photos prises par Patrick Zachmann, un photographe français, où il raconte sa participation au mouvement de la place Tiananmen du 13 au 23 mai 1989. Photos, témoignages et souvenirs ponctuent un tableau nostalgique d’une jeunesse chinoise idéaliste ayant lancé un mouvement comparable, selon les termes de l’auteur, à un Woodstock ou à un Mai 68 « à la chinoise ». Il complète ce tour multimédia par deux entrevues avec des Chinois de différentes générations, pour montrer les perspectives existantes en Chine quant à ce mouvement.


Quelques semaines plus tôt, sur un blogue intitulé « Fool’s Mountain : Blogging for China », Mark Anthony Jones exposait une vision radicalement différente du mouvement étudiant, utilisant les témoignages de grands noms du journalisme ou de la recherche sur la Chine (Andrew Nathan, Jan Wong…) pour en donner une version passablement plus complexe et moins romantique que celle de Zachmann.

Pour le grand public, ou bien pour le néophyte n’ayant pas fait de recherches approfondies sur ce sujet, avoir une vision claire est particulièrement difficile. Sujet tabou et censuré en Chine, bourré de charge émotionnelle partout dans le monde, il est normal qu’on cherche à le décrire en des termes familiers dans les médias. Entre la vision d’un « Woodstock » chinois et celle d’un mouvement de revendications plus froid, organisé et banal, comment départager ces deux visions ?

Peut-on voir les étudiants chinois comme des idéalistes au grand cœur, ayant défié leur gouvernement dictatorial au nom de leurs idéaux jusqu’au sacrifice final ? Ou bien peut-on voir cet événement comme un banal mouvement social que le gouvernement chinois a commis l’erreur de tolérer un peu trop longtemps ? Quelle était la place exacte des étudiants, des ouvriers et de la population générale en son sein ? Quelles étaient les revendications de tous ces groupes et à quel point étaient-ils unis ? Quel danger représentaient-ils pour que la réponse du gouvernement soit si violente ? Plus important encore : toutes ces questions sont-elles posées dans l’esprit de savoir ce qu’était le mouvement, ou dans l’esprit de ce que nous pensons qu’il a été ?

Toutes ces questions sont peu agréables à poser et difficiles à répondre. Il est cependant clair qu’apposer des étiquettes familières au public occidental sur les événements chinois risque à terme de nous éloigner de leur signification pour la conscience et le contexte chinois. Bien plus que Woodstock, c’est le mouvement du quatre mai et, bien plus présente dans la conscience populaire, la Révolution Culturelle qu’il faut considérer ici. Juger sévèrement la réaction du gouvernement chinois est nécessaire, comprendre la nature du mouvement de Tiananmen et de ses revendications l’est encore plus ; toutefois, il est indispensable d’envisager cet événement dans les termes et le contexte de l’histoire chinoise. C’est la seule concession que nous pouvons faire à cet événement tragique qui est loin d’avoir fini de monopoliser les esprits.


Ivan Barreau

jeudi 28 mai 2009

Explorations: Requiem pour le mythe méritocratique de l'université chinoise



À l’approche du gaokao (高考), l’examen national d’entrée à l’université, plus de dix millions de jeunes lycéens chinois s’apprêtent à jouer leur avenir. De ce nombre, un peu plus de la moitié accèdera aux études supérieures et à la promesse d’un avenir meilleur. Pour certains cependant, les bonnes notes ne suffiront pas : jugés trop petits, trop faibles ou inadéquats, les portes de plusieurs écoles ne s’ouvriront pas à eux.

Au cœur de la récente controverse, la Faculté de médecine de l’Université de Pékin (Beiyi) qui, le mois dernier, annonçait et défendait publiquement sa décision de restreindre l’accès à ses programmes aux candidats trop petits (moins de 1,50m pour les filles et 1,60m pour les garçons), dont le poids dépasse de 20% le poids santé ou étant porteurs de l’hépatite B.

Jugées excessives par plusieurs activistes et avocats chinois, ces mesures ne sont cependant que le reflet de critères officieux d’admission ou d’embauche déjà existants. En effet, les histoires de jeunes chinois subissant des chirurgies d’allongement des jambes ou de porteurs de l’hépatite B renvoyés de leur écoles ou refusés à l’embauche sont fréquentes. Ce qui choque ici est de voir une Faculté de la plus prestigieuse université de Chine s’en réclamer ouvertement. Et derrière elle, une bonne partie des établissements d’enseignement et de recherche les plus prestigieux du pays.

mercredi 27 mai 2009

Explorations : « Chacune d’entre vous pourrait être Deng Yujiao » (谁都可能成为邓玉娇)




Deng Yujiao (邓玉娇), employée d’un karaoké de l’hôtel Xiongfeng (雄风) de Yesanguang (野三关) (province du Hubei), déferle actuellement les manchettes en Chine. Sur le web chinois, l’affaire est progressivement devenue le sujet de l’heure et des millions d’internautes se sont mobilisés, depuis le 10 mai dernier, derrière la cause de la jeune Yujiao. C’est que le 10 mai dernier, Deng Yujiao, alors affairée dans la buanderie du 梦幻休闲中心 (Centre de loisirs et relaxation ‘Cité des rêves’), fut abordée par deux hommes qui auraient exigé d’elle, en échange de quelques yuans, des « services particuliers (特殊服务) », i.e. sexuels. Elle aurait catégoriquement refusé les avances, ce qui aurait provoqué la colère de l’un deux, un cadre du Parti et, de surcroît, un directeur d’un bureau administratif local. Le cadre en question l’aurait ensuite frappée au moyen de sa liasse de billets, l’aurait menacée en lui vociférant des insultes puis, l’aurait plaquée sur un divan, menaçant de la violer. Ce fut cette histoire que Deng Yujiao raconta aux policiers afin d’expliquer pourquoi, en cette soirée du 10 mai, elle en était venue à poignarder le cadre Deng Guida à mort au moyen d’un couteau à fruits (ou à pédicure ?) qu’elle avait dans son sac.

Cette affaire, qui fit le tour de la Chine en l’espace de quelques heures, fait apparaître plusieurs sujets tabous dans le discours public chinois, notamment ceux du harcèlement sexuel et de la prostitution, devenus de véritables fléaux dans la Chine des vingt-cinq dernières années. Mais, aussi, ce qu’on appelle désormais « le cas du viol de Deng Yujiao (邓玉娇被强奸) » témoigne de la rapidité à laquelle les informations voyagent désormais sur le web chinois, ainsi que la puissante force mobilisatrice qu’il constitue. Vendredi dernier, le Bureau de l’information de Pékin a même explicitement défendu de faire de la publicité autour du cas de Deng Yujiao ou de l’enquête en cours. Mais il était déjà trop tard; les langues déliées et les doigts des bloggeurs ont transformé le cas de Deng Yujiao, à l’image de celui de Sun Zhigang il y a quelques années, en « cas parapluie » afin de dénoncer divers maux affligeant la société chinoise, notamment la commercialisation du sexe, la corruption des fonctionnaires et des autorités, l’inefficacité du système judiciaire, la censure des médias et la dégradation des droits et intérêts des femmes. Texte integral

Emilie Cadieux

mardi 26 mai 2009

Lu et vu: Voix d’outre-tombe



J’étais en Chine lorsque j’appris la mort de Zhao Ziyang en mai 2005. Quelle ne fut pas ma surprise de réaliser qu’aucun de mes jeunes amis dans la vingtaine, la plupart pourtant des étudiants universitaires, ne connaissaient le nom d’une des figures les plus marquantes de la vie politique chinoise des années 1980.

A la loi martiale imposée par le régime en juin 1989 pour reprendre le contrôle à partir des manifestants, Zhao Ziyang s’y opposa jusqu’au bout. Alors que les manifestations firent rage de Pékin à Wuhan, le Secrétaire général du Parti communiste d’alors réclame le dialogue avec les chefs-étudiants. Seule une relaxation de la ligne dure du parti saura, insiste-t-il, éviter un bain de sang. Il ne sera pas écouté. Dans la soirée du 3 juin, les tanks pénètrent la ville. Au matin, la place Tiananmen est vidée et ceux qui l’ont fait vibrer pendant plusieurs semaines, recherchés…ou enterrés. Zhao Ziyang, pour sa part, écope: destitué de ses fonctions, il est sommé à résidence surveillée.

Voila ce qui explique l’engouement entourant la publication de Prisoner of the State: The Secret Journal of Premier Zhao Ziyang (lire des extraits) à l’approche du vingtième anniversaire des evenements de Tiananmen. Celui qu’on avait tenté de faire disparaître a réussi un coup de génie : se faire entendre—du moins en Occident—pour une dernière fois.

lundi 18 mai 2009

Explorations: La couleur de la Chine



De quelle couleur est la Chine? À cette question, la plupart des Chinois vous répondraient sans doute spontanément : « rouge! » D’autres pourraient aussi être tentés de répondre « brune ». En effet, en regardant les sérieux problèmes de pollution présents tant en campagne que dans les villes, le point de vue se défend. Aujourd’hui par contre, la Chine sera verte. Internationalement, il est à souhaiter que l’arrivée de cette Chine Verte vienne souffler un vent de dynamisme sur un secteur qui semble parfois manquer de repères.

Économie d’énergie, voitures électriques, énergies propres…l’innovation en matière d’environnement ne se frappe pas aux limites du cerveau humain, mais plutôt aux limites de sa volonté et de son budget. Or, il se trouve que, plus que jamais, ces deux variables abondent en Chine. Au-delà de la rhétorique entourant le débat relatif au droit au développement, la Chine fait maintenant face aux limites physiques de son environnement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2007, le Chinois moyen produisait 5.1 tonnes de CO2 alors que l’Américan moyen, lui, en produit 19.4 tonnes. Avec plus d’un sixième de la population mondiale, il n’est pas difficile de comprendre que la théorie du rattrapage devra tôt ou tard rendre des comptes à dame nature.

Réactions à chaud: Montée de tension en Mer de Chine



Au cours des dernières années, la Chine est parvenu à régler ses contentieux terrestres avec 13 de ses voisins. La situation ne progresse cependant pas aussi rapidement en mer. En effet, sur la Mer de Chine, les visées chinoises entrent encore en conflit avec celles de la quasi-totalité des pays de l’Asie Pacifique. Pour chacun des partis impliqués, les intérêts sont les mêmes : acquisition de domaines de pêche, contrôle d’importants gisements d’hydrocarbures ainsi que la sécurisation de couloir d’approvisionnement maritime. Du côté chinois, l’enjeu est de taille. 90 % de son commerce extérieur transite par la mer de Chine, 80 % de ses importations en pétrole y transige.

Alors qu’au cours des dernières années, une approche de gestion partagée semblait vouloir s’imposer, l’actualité de la semaine nous rappelle qu’au-delà de la bonne volonté, chaque partie demeure campée sur ses positions et se refuse à toute concession qui pourrait laisser une trace légale sur le plan du droit international. Le premier épisode de la semaine se déroula à l’ONU. La date limite pour déposer des requêtes territoriales maritimes, selon le “UN Law of the Sea Treaty”, arrivant à échéance le 6 mai dernier, 4 pays de l’Asie Pacifique tentèrent d’officialiser leurs prétentions sur les îles Spratly et Parcels. Les doléances malaises et vietnamiennes furent particulièrement mal reçues par Pékin. Celles-ci déclenchèrent une ronde d’intenses protestations diplomatiques ainsi qu’une montée des tensions entre la Chine et le Vietnam, ce qui déboucha sur une série d’accrochages entre les navires étasuniens et chinois en mer de Chine cette semaine. La décision du Vietnam, en avril dernier, de faire l’acquisition de 6 sous-marins russes de combat n’est pas non plus étrangère au conflit qui perdure dans cette région.

vendredi 15 mai 2009

Réactions à chaud: « L’espion qui venait de Taiwan », ou les dessous des relations sino-américaines



Les amateurs d’histoire d’espionnage ne restent jamais sur leur faim avec les relations sino-américaines. De nouvelles affaires viennent en effet périodiquement apporter de l’eau au moulin de tous ceux accusant la Chine de comportement agressif sur la scène internationale. Qu’on se souvienne de l’affaire de l’ex-agent chinois Li Fengzhi , des nombreux cas de cyber-espionnage chinois sur des sites américains, le thème revient périodiquement depuis de nombreuses années.

La dernière affaire en date est celle où James W. Fondren, fonctionnaire du Department of Defense, accusé d’avoir vendu des documents classifiés à un homme d’affaires taiwanais, Tai Shen Kuo, ce dernier ayant selon le quotidien Huffington Post plaidé coupable d’espionnage pour le compte de la République Populaire. Fondren serait, selon le journal, le deuxième fonctionnaire de la défense américaine à avoir fait passer des documents sensibles à cet agent du gouvernement de Beijing, croyant à tort qu'ils servaient la cause taïwanaise. L’année dernière, un de ses collègues, Gregg Bergersen, aurait lui aussi vendu des documents d’État contre paiement à Tai Shen Kuo.

jeudi 14 mai 2009

Explorations: Confucius, Kang Xiaoguang, et l’avenir de la Chine (1)



Depuis quelques temps déjà, le gouvernement chinois, et d’abord le Parti communiste chinois (PCC), vit une véritable crise de légitimité. La crise évolue au ralenti car elle est issue du grand succès économique que connaît l’Empire du milieu depuis trente ans. Succès dont les leaders du Parti peuvent se targuer d’avoir été les auteurs. Qu’en est-il de la nature de la crise? C’est que le marxisme-léninisme, la doctrine « scientifique » servant de base théorique avérée à la légitimité du PCC, n’a joué aucun rôle dans la montée fulgurante de la Chine depuis la mort de Mao Zedong. Les forces du marché, oui. La mondialisation, oui. L’autoritarisme, peut-être. Mais on peut être autoritaire sans être marxiste, ce que le PCC (et peut-être le peuple chinois, voilà le hic) n’est pas sans savoir. D’où la tentation confucéenne.

Pour les leaders du Parti, comme pour certains intellectuels chinois d’ailleurs, le confucianisme est synonyme de tradition glorieuse, de fierté nationale, de société hiérarchisée et de gouvernement autoritaire. Il s’agit surtout d’une marque de commerce bien connue dont le produit reste à définir. De fait, tout au long du 20e siècle, le confucianisme a été l’objet de condamnations répétées pour avoir été à la fois symbole et substance de l’ordre « féodal », un ordre que les modernisateurs, qu’ils soient communistes ou républicains, auraient voulu voir définitivement disparaître. De sorte que, depuis 60 ans, il ne reste plus grand-chose du confucianisme en Chine—plus d’écoles ou d’académies, plus d’écrits, plus de professeurs. Certains comportements et habitudes exceptés, bien ancrés dans les mœurs et dans la culture chinoises. Si tant est qu’on puisse d’ailleurs les étiqueter de « confucéens » , à mes yeux, ils seraient bien davantage et tout simplement… « chinois ». Quoiqu’il en soit, en un temps où tout ce qui est « traditionnel » prend un certain cachet, voire de la valeur, il semble plaire aux Chinois d’apprendre qu’ils sont bel et bien restés confucéens. Et c’est sur ce terrain de redécouverte (ou de réinvention?) de cette tradition que le PCC songe peut-être à rasseoir sa légitimité.

mardi 12 mai 2009

Réactions à chaud: Jackie Chan à la rescousse de l’autoritarisme en Chine



Loin d’être tiré du scénario de l’un de ses prochains films, c’est en ces termes que s’exprimait Jackie Chan lors du Boao Forum qui s’est tenu sur l’île d’Hainan le 18 avril dernier :

“I’m not sure if it’s good to have freedom or not…Freedom has made Hong Kong and Taiwan very chaotic…I’m gradually beginning to feel that we Chinese need to be controlled. If we’re not being controlled, we’ll just do what we want.”

Après coup, Chan insistera sur le fait que ses propos avaient été cités hors de leur contexte et qu’il parlait du contrôle de l’industrie cinématographique seulement. Mais c’était déjà trop tard : les médias et la blogosphère avaient trouvé en ses propos leur cause du jour et le pauvre comédien de se faire traiter de tous les noms. Comme quoi en Asie—comme en Amérique—on peut passer rapidement du cinéma, au théâtre (politique), voire au cirque.

lundi 11 mai 2009

Le pourquoi de notre blogue



Comme est souvent le cas dans la « blogosphère », « La Chine à notre porte » s’inspire d’un autre blogue, ce dernier créé dans le cadre d’un cours que j’ai donné la session d’hiver 2009 au Centre d’études de l’Asie de l’Est de l’Université de Montréal. À chaque semaine ou presque, les étudiants ont monté des billets sur le blogue, dans l’optique de profiter de cet espace virtuel pour mettre en commun les connaissances acquises, permettant ainsi un apprentissage à la fois plus rapide et plus approfondi que d’habitude.

À la fin du cours, certains étudiants m’ont communiqué leur intérêt à poursuivre le blogue au-delà du cadre du cours. Cet intérêt a rejoint une idée que je nourris de mon côté, à savoir de lancer un blogue personnel où il serait question de commenter l’actualité chinoise, m’adressant à un auditoire plus large que celui de mes collègues sinologues. Pourquoi? Parce que malgré l’importance manifeste de la montée de la Chine dans un contexte québécois et/ou canadien, la Chine figure peu dans nos médias. Oui, la Chine fait la une au Québec comme ailleurs quand il arrive quelque chose d’important, mais à part cette couverture médiatique ponctuelle, la Chine reste assez distante de nos préoccupations quotidiennes. Et ce, même si la montée de la Chine risque d’être aussi importante à l’avenir de nos enfants et petits-enfants que le réchauffement de la planète. Depuis une décennie déjà, le plus important groupe d’immigrants à Montréal, c’est des Chinois…

Il y a donc largement de la place pour des discussions régulières de la Chine, mises à la disposition des lecteurs intéressés. J’ai donc invité mes étudiants aux trois cycles, certains anciens étudiants, des collègues du CETASE et même des collègues d’ailleurs à faire partie d’une équipe qui va sûrement évoluer dans le temps et dans l’espace (car au moins 2 des contributeurs partent bientôt pour faire leur maîtrise, en chinois, en Chine). Les noms et profils des contributeurs paraîtront sous peu sur le blogue sous la rubrique « contributeurs. »

De quoi parlera-t-on? Nous avons établi d’abord deux « chroniques », « Lu et vu » et « Réactions à chaud ». Dans « Lu et vu » se trouveront des comptes-rendus de livres, films, reportages, documentaires sur la Chine. Aussi des blogues intéressants, des conférences données par des Chinois de passage à Montréal ou sur la Chine par les conférenciers intéressants. Bref, tout ce qui touche à l’image de la Chine véhiculée surtout dans les médias. Dans « Réactions à chaud » nous donnerons nos commentaires sur l’actualité chinoise, avec un peu plus de recul, histoire de tout remettre dans un contexte plus large et plus nuancé.

S’ajouteront aux deux chroniques de base des « Explorations» ponctuelles qui iront plus en profondeur sur les thèmes qui piquent l’intérêt de notre équipe. Parmi ces thèmes : le retour de la religion en Chine, la Chine verte, la Chine digitale, les Chinois à Montréal…

À suivre

David Ownby

Lu et vu: L'Art et l'âme de Lang Lang



« Je voulais devenir le Tiger Woods du piano. » Ainsi se résume Le piano absolu (Paris : JC Lattès, 2008), l’autobiographie de Lang Lang, la jeune vedette chinoise du piano classique occidental que certains auront vu jouer lors de la cérémonie d’ouverture aux JO de Pékin l’été dernier. Ce volume,
« écrit avec » David Ritz, auteur américain qui a aussi signé des volumes sur Ray Charles, Aretha Franklin ou Marvin Gaye, entre autres, nous livre un portrait peu reluisant des pires aspects de la mondialisation de la Chine de l’ère post Mao : le culte de la célébrité, le rêve perpétuel d’être « numéro un », la recherche à tout prix du succès aux yeux des autres. Lang Lang a beau être chinois et jouer du piano, son histoire (du moins celle racontée dans ce volume) ressemble en tous points à celle de n’importe quelle gymnaste, basketballeur ou comédien qui arrive au top de son jeu assez longtemps pour se faire faire tirer le portrait dans People’s Magazine. Je plains d’ailleurs le pauvre traducteur qui a dû perdre quelques semaines de sa vie pour rendre cette « autobiographie lite » en français.

Né en 1982 dans la ville industrielle de Shenyang, au nord-est de la Chine, Lang Lang fait preuve de génie musical dès son plus jeune âge : il commence à prendre des leçons à l’âge de 3 ans, gagne son premier concours important à 5 ans. La famille de Lang avait longtemps nourri des ambitions musicales et artistiques, ambitions qui s’étaient alors heurtées à la dure réalité anti-culturelle de la Révolution culturelle. Le père de Lang Lang surtout, va déplacer ses rêves inachevés sur son fils et consacrer sa vie entière à la gestion de la carrière de ce dernier. Pour ce faire, il ira jusqu’à laisser tomber son emploi pour s’installer avec lui dans un appartement miteux à Beijing quand celui-ci avait 9 ans, dans l’espoir de le faire entrer au conservatoire. La mère de Lang Lang, elle, reste à Shenyang pour travailler et entretenir époux et fils, perdant ainsi à presque tout jamais Lang Lang à la musique et « au monde » comme dirait la star insupportable. Le message du papa : « J’ai tout sacrifié pour toi, tu vas travailler 6, 8, 10 heures par jour au piano, pour devenir rien de moins que LE MEILLEUR AU MONDE. » Message que Lang fils avale goulûment. Et, de fait, non seulement rentre-t-il au conservatoire mais gagne-t-il nombre de concours internationaux avant de s’installer aux États-unis où il deviendra une star planétaire à l’âge de 20 ans.

Ce livre est révélateur de la culture hyper compétitive (je dirais même coupe-gorge) du monde de la musique classique en Chine, une compétitivité qu’on trouve sans doute dans d’autres domaines de la Chine capitaliste. Mais il est surtout révélateur de l’immense ego de Lang Lang, un ego à côté duquel son âme artistique paraît minuscule (et accessoire). J’aurais pensé qu’une vie consacrée à la musique aurait été autre chose qu’une course à la gloire; il semble que non. D’ailleurs il est des plus significatif –même si en même temps quelque peu cocasse- que, en juin 2008, Lang Lang ait lancé sur le marché mondial sa propre chaussure Adidas. Dénommée « Lang Lang », tout simplement…La meilleure chaussure au monde, paraît-il (et la seule à venir avec haut-parleurs).

David Ownby

dimanche 10 mai 2009

Lu et vu: sur l'anniversaire du tremblement de terre à Sichuan



L’an 2009 est riche en anniversaires en Chine : 90e anniversaire du Quatre mai, mouvement étudiant et iconoclaste qui, selon certains, marque le début de la modernité chinoise; 60e anniversaire de l’avènement de la République de Chine; 20e anniversaire des manifs de Tian’anmen, et de leur suppression sanglante; 10e anniversaire de l’affaire Falun Gong…

Mardi prochain, le 12 mai, nous commémorons la 1ere anniversaire du grand tremblement de terre de Sichuan, un événement qui en dit long sur la condition de la Chine contemporaine. 70,000 morts, 5 à 10 personnes millions laissées sans logement, chiffres qui nous rappellent le caractère massif de la Chine. La réponse rapide et efficace du gouvernement chinois (relativement à Myanmar, face au cyclone Nargis ou même aux États-unis de Bush fils face à Katrina) et l’ouverture—relative là encore—de la Chine aux journalistes internationales et à l’aide extérieure, ce qui nous rappellent l’évolution politique d’un régime qui reste autoritaire mais qui n’est plus totalitaire. En revanche, le scandale des écoles dans la zone sinistrée, écoles mal construites par les fonctionnaires locaux corrompus, et de ce fait parmi les premiers édifices à tomber, scandale que les gouvernements—central et locaux—ont tenté d’étouffer depuis, nous rappelant les mauvaises habitudes d’un régime qui manque toujours de transparence et de démocratie.

Pour comprendre le drame humain qui a été le tremblement de terre, nous recommandons le reportage extraordinaire de Melissa Block, journaliste à National Public Radio (le Radio Canada américain). Mai dernier, elle se trouvait par hasard à Sichuan, micro en main, au moment que le séisme a frappé, et en a profité pour livrer une série de reportages des plus émouvants. Elle est retournée à Sichuan cette année pour revisiter certaines des personnes interviewées l’an dernier, laissant parler les gens qui ont tout perdu—parents, enfants, maison, emploi. Cliquer ici pour accéder aux reportages de l’an dernier et de cette année et ici pour le blogue associé. Malgré le ton inévitablement sombre du reportage, Block ne se laisse pas aller dans le mélodrame, mettant en premier plan le courage et la dignité des Chinois. Moment inoubliable : entrevue avec des enfants rendus orphelins par le tremblement de terre et qui ont transformé leur expérience en musique. À écouter.

David Ownby

mercredi 6 mai 2009

Lancement du blogue "La Chine à notre porte"



“Is it reasonable?” Voilà la question que m’a posée Marcia McMillan de CTV à 18h04, le 4 mai, lors d’une brève entrevue télévisée au sujet de la quarantaine imposée aux étudiants de l’Université de Montréal par les autorités chinoises. En tant que journaliste elle aurait souhaité que je réponde avec un « non » tonitruant, car les journalistes poursuivent la sensation comme les chiens les voitures. Mais la question--tout à fait « raisonnable », elle--demande une réponse nuancée. Une partie de cette réponse se trouve déjà dans un éditorial que j’ai cosigné avec ma collègue Laurence Monnais, historienne de la santé, et publié dans Le Devoir le 6 mai. Je lance aujourd’hui un nouveau blogue—« La Chine à notre porte »—pour amorcer une discussion plus en profondeur encore sur la Chine et l’impact de la montée de la Chine sur nous. Voir texte intégral

David Ownby