lundi 2 novembre 2009

Indiana Jones à l’asiatique : la Chine à la recherche de reliques légendaires






Un billet de Charles Hudon

Art islamique, antiquités égyptiennes, sculptures romaines, fresques amérindiennes… comment ces œuvres, en provenance des quatre coins de la planète, ont-elles pu se retrouver dans les plus grands musées du monde? Dans quelles conditions ces pièces furent-elles acquises? À qui appartient le patrimoine culturel mondial? La Chine se joint au débat et son influence grandissante sur la scène internationale pourrait jouer un rôle déterminant dans le règlement de cet enjeu.

Afin de comprendre la position de la Chine, il suffit de se poser quelques questions toutes simples. Par exemple, que diriez-vous si un étranger s’infiltrait dans votre maison, s’emparait de plusieurs objets ayant de la valeur à vos yeux et, avant de partir, mettait feu à votre domicile? Que feriez-vous si, peu de temps après, au vu et au su de tous, vos articles étaient mis en vente sans que la loi ne puisse faire quoi que ce soit pour protéger vos droits? Bien qu’il soit difficile de prédire qu’est-ce qu’un individu ferait dans une telle situation, je crois que nous pouvons nous entendre pour dire qu’il serait sans doute furieux, et à juste titre.



C’est un peu dans cette situation que se retrouve aujourd’hui la Chine. En 1860, au cours de la deuxième guerre d’opium, les troupes françaises et anglaises prirent possession de ce qui est aujourd’hui connu comme l’Ancien Palais d’été. Deux jours plus tard, pour venger l’exécution de prisonniers européens, l’Angleterre ordonne sa destruction complète. Ces événements donnèrent lieu à un pillage massif d’œuvres d’art dans ce que les Chinois surnommaient le palais des palais. Loin d’être le seul cas de pillage d’œuvres d’art en territoire Chinois, cet événement est généralement considéré par la population et le gouvernement comme un symbole.

Selon les Nations Unies, près d’un million d’œuvres d’art chinoises seraient aujourd’hui dispersées dans plus de 200 musées ainsi que dans d’innombrables collections privées dans près de 50 pays autour du globe. Les questions relatives à la restitution de ces œuvres sont extrêmement sensibles en Chine. Cette semaine, Huanqiu Shibao annonçait que le groupe « Yuanmingyuan Management Office (圆明园管理处) se préparait à envoyer un groupe d’experts aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, au Japon et dans plusieurs autres pays afin de mettre sur pied un inventaire complet de ces œuvres disparues et de faire le nécessaire pour assurer leur retour en sol chinois.

La position chinoise

Pour la Chine, le meilleur scénario serait de voir les musées du monde entier faire preuve de philanthropie en procédant à des dons volontaires. En début d’année, plusieurs requêtes furent formulées dans ce sens lorsque Pierre Berger et Yves St-Laurent mirent aux enchères deux têtes de bronze chinoises provenant de leur collection personnelle. Les deux hommes avaient trouvé la proposition intéressante, Pierre Berger ayant même affirmé qu’il donnerait volontiers ces pièces à Pékin s’il « s’engageait à respecter les droits humains, à libérer le peuple tibétain et à accueillir le Dalaï-lama. » Cet exemple souligne que politiquement, la Chine se retrouve encore en situation défavorable, ce qui incite au maintien du statu-quo.
Du côté de l’opinion publique, un récent sondage révélait que les chinois préconiseraient plutôt le rachat de ces œuvres par les multinationales chinoises faisant des affaires dans les pays où se trouvent ces œuvres. Ayant bénéficié grandement d’un développement rapide s’étant parfois fait au dépend de l’environnement et des plus démunis en Chine, le temps serait venu pour ces multinationales de remercier le peuple chinois en lui faisant ce cadeau.

Pour sa part, le ministère chinois de la culture a mis de l’avant une stratégie en quatre points entourant la question du rapatriement des reliques culturelles chinoises :
(1) Améliorer les conditions de protection du patrimoine existant afin d’éviter la perte de nouvelles reliques culturelles et démontrer que les biens éventuellement restitués seront conservés de façon adéquate;
(2) Améliorer et renforcir les dispositifs légaux ayant trait au vol et à la contrebande d’objets d’art afin d’obtenir un soutien légal plus crédible lors de requêtes internationales;
(3) Intensifier le travail d’enquête relatif aux vestiges culturels chinois se retrouvant à l'étranger en allouant d’avantage de fonds et de personnel à cette tâche;
(4) Intensifier le travail diplomatique afin d’inciter la restitution de biens culturels perdus.

La loi

Lorsqu’il est question de reliques culturelles nationales pillées en temps de guerre le droit international ne contient encore aucune close véritablement contraignante pouvant forcer les parties concernées à rendre des œuvres. Actuellement, dans le but d’empêcher leur mise aux enchères sur le marché international, la Chine compte surtout sur des condamnations morales. Les résultats ne sont, naturellement, que très modestes.

Légalement, le plus gros problème réside dans la définition du propriétaire. Techniquement, le gouvernement serait le meilleur candidat pouvant, au nom du peuple chinois, clamer la propriété du bien. Or, le système juridique chinois ne reconnait pas la légalité des poursuites déposées contre Pékin par des gouvernements étrangers. Si le gouvernement chinois devait lui-même s’adonner à ce genre de pratique, il devrait reconnaître, en retour, le droit aux autres pays de le poursuivre, abandonnant ainsi le principe de son immunité face aux pays étrangers. Pour l’instant, la Chine n’est pas encore prête à faire ce pas.

De plus, comme la Chine ne reconnaît pas la juridiction de la Cour Internationale de Justice des Nations Unies, un citoyen chinois ne peut non plus déposer en son nom une plainte au près de cette instance.

Face à ces difficultés légales, la Chine peut toujours se tourner vers certains traités internationaux :

-La Convention sur la protection des biens culturels, signé à La Haye en 1954;

- La convention sur l'interdiction d’importation et d’exportation illégale de biens culturels, signée par l’UNESCO en 1970;

-La convention sur les biens culturels volés ou illicitement exporté, signé à Rome en 1995.

Encore une fois, les difficultés abondent. Dans la plupart des cas, ces traités manquent de capacités contraignantes. D’autre part, ces traités couvrent généralement des cas ayant moins de 70 ans d’histoire et seuls les cas ayant été considérés après la signature de ces accords sont pris en considération.

Le rachat?

La fréquence avec laquelle ces joyaux de l’histoire chinoise se retrouvent mis aux enchères pourrait permettre à Pékin de récupérer plusieurs œuvres dans un temps relativement court. Le dernier épisode en date remonte au 29 avril dernier. À cette occasion, le collectionneur à l’origine de l’événement n’était rien de moins que le descendant direct d’un général français ayant participé au saccage du Palais d’été, près de 150 ans plus tôt. Pour ajouter à l’insulte, le collectionneur s’exprima ainsi sur le blog du site web du journal français, les Échos : « Nous espérons que cette vente aux enchères attirera les gens qui souhaitent démontrer leur dévotion envers Pékin afin de stimuler les offres d’achat. Nous espérons que ces Chinois qui ont beaucoup d'argent viendront se battre pour racheter ces objets à n’importe quel prix ». Face aux défaillances légales, l’option du rachat pourrait toujours être considérée.

Il semble cependant que, bien que la Chine soit définitivement déterminée à reprendre possession de ses œuvres, les racheter ne représente pas nécessairement la meilleure alternative. D’une certaine façon, participer aux ventes aux enchères impliquerait la reconnaissance par Pékin du caractère légal de cette vente. Racheter une de ces œuvres créerait un précédent qui pourrait éventuellement lui nuire dans le processus de rapatriement d’autres œuvres.

Le choix des mots

La rétribution d’œuvres d’art est un sujet complexe qui donne déjà des maux de tête à bon nombre de musées à travers le monde. Afin de bien comprendre dans quelle situation se trouve aujourd’hui Pékin, il importe de jeter un œil sur certains cas qui font aujourd’hui école dans ce domaine.

Prenons par exemple le cas de l’Angleterre et de la Grèce, pour lesquels l’art est à la source d’un froid diplomatique qui sévit entre ces deux pays depuis plusieurs années. L’origine de ces dissensions remonte au début du 19ième siècle. À cette époque, Lord Elgin acheta à l’empire Ottoman, qui occupait alors la Grèce, les Marbres d’Elgin, aussi connus sous le nom de Marbres du Parthénon. Depuis 1816, ces pièces sont exposées au British Museum. Bien que l’empire Ottoman ait contrôlé la Grèce de 1460 à 1833, Athènes ne reconnaît pas aujourd’hui la légalité de la transaction et réclame la restitution des pièces. Bien que certains musées aient déjà procédé à la restitution de fragments en provenance du Parthénon, le British Museum s’y oppose farouchement, prétextant que ces demandes viendraient éventuellement vider la plupart des grands musées du monde. Sur ce point, les grands musées américains et européens se serrent les coudes en créant un véritable embargo sur toutes les questions de restitution.

Plus près de chez nous, le Québec a lui aussi déjà été impliqué dans des polémiques de restitution. À la fin des années 1940, l’histoire de l’art prend un essor considérable aux États-Unis. Très vite, les spécialistes étatsuniens développent une connaissance de l’art québécois qui n’a d’égal chez nous. S’ensuit une période d’acquisitions massives d’art religieux québécois qui quitte la Belle Province pour rejoindre notre voisin du sud. Statues, ornements, mobiliers, tout y passe. Les conditions dans lesquelles ces morceaux furent acquis sont aujourd’hui jugées « non-orthodoxes ». Convaincues que ces « vieux » objets n’avaient aucune valeur, les paroisses les échangeaient contre du mobilier « neuf ». En résulte que, pendant plusieurs années, les plus belles collections de mobilier canadien français étaient exposées à New York et à Philadelphie. Suite à de longues discussions, bon nombre de ces pièces d’orfèvreries religieuses furent données au musée d’Ottawa. Ici, le terme « donné » est particulièrement important.

Dans de telles situations, le choix des mots est déterminant. Restituer n’égale pas donner, prêter ou échanger. Dans le cas anglais, bien que s’opposant à toute forme de restitution, le British Museum serait plutôt ouvert à discuter de la possibilité de prêts. Même si ces prêts devaient être éternels, en l’acceptant, Athènes reconnaîtrait implicitement que l’achat des reliques fut fait dans des conditions légales, ce qui éviterait de créer un précédent qui affaiblirait légalement tous les grands musées. Naturellement, Athènes de veut rien entendre. La Grèce argue que le problème est d’ordre éthique et culturel, et non d’ordre légal. À cet effet, le ministre de la culture grecque est catégorique: « tout ce qui est grec, peu importe où dans le monde, nous voulons le récupérer. »

Ces commentaires ouvrent la porte à l’idée de « propriété culturelle », concept qui aimerait voir le droit de propriété d’un bien culturel accordé à un groupe, une minorité ethnique, voire un pays, et non à un individu en particulier. Selon ce courant de pensée, indépendamment des termes d’acquisitions, le meilleur endroit pour apprécier une œuvre d’art serait dans son environnement d’origine. De cette façon, « l’Italie clame aujourd’hui ses droits de propriété culturelle sur tout ce qui provient du territoire aujourd’hui connu sous le nom d’Italie depuis les 1200 dernières années. »

La Chine a certainement remarqué ce nouveau dénouement dans la saga de la restitution d’objets d’art. À mon avis, il ne serait pas surprenant de voir un jour Pékin mettre en branle une stratégie de récupération beaucoup plus vaste. Le débat entourant la restitution d’objets d’art mal-acquis pourrait éventuellement servir de levier vers une stratégie de restitution au sens large. À cet égard, bien que légalement acquises, la Chine a déjà démontré son intérêt pour bon nombre de pièces exposées au musée de Tokyo. En effet, les relations Chine-Japon ne datent pas d’hier. Le musée de Tokyo regorge aujourd’hui d’œuvres qui en témoignent, œuvres qui furent offertes par la Chine au cours des centaines d’années qui caractérisent l’histoire diplomatique des deux pays.

En regardant l’autre côté de la médaille, une question nous vient naturellement à l’esprit, à savoir si le pays d’origine est nécessairement le mieux placé pour protéger ses pièces antiques, aujourd’hui considérées comme patrimoine mondial? À cet effet, le British Museum se plait à affirmer que, n’eut été de son intervention, les Marbres du Parthénon auraient sans doute aujourd’hui complètement disparu. D’autres exemples viennent donner du poids à cet argument. Le cas de l’Égypte qui, pendant des centaines d’années, a failli à protéger les trésors artistiques des pyramides est à considérer, ou encore celui des Talibans qui procédèrent à la destruction des Bouddhas de Bâmiyân, site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour ce qui est du cas de la Chine, ses détracteurs pourraient sans doute avancer que, n’eût été de leur départ pour l’étranger, plusieurs des œuvres qui font aujourd’hui l’objet de demandes de restitution auraient peut-être disparu lors de la révolution culturelle.

L’idée, qu’un musée pouvant réunir en un seul endroit une collection culturelle mondiale, ouvert au grand public, puisse être considéré comme un « World Heritage Center », est souvent défendue par des musées comme le British Museum et le Louvre. Bien que n’étant pas totalement dénuée de sens, le fait que certaines pièces se retrouvant dans ces collections proviennent du pillage de pays, qui en réclament aujourd’hui leur restitution, enlève beaucoup de crédibilité à cette proposition.

À travers cette controverse, force est de constater que les demandes de restitutions chinoises évolueront conditionnellement à son développement économique. À ce titre, la Chine pourra étudier l’exemple de certains pays du Moyen-Orient qui offrirent des avantages pétroliers dans la négociation d’accords bilatéraux de restitution. Sans acheter directement ces objets perdus, la Chine devra, d’une façon ou d’une autre, mettre la main au portefeuille. Offrir des avantages économiques pourrait représenter une solution qui permettrait aux deux parties de conserver leur « mianzi » (face).

Charles Hudon, à Kunming

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