lundi 14 septembre 2009

Suivez le Guide – Tianjin (ou ne le suivez pas)




Lorsqu’on découvre la Chine, voire qu’on y voyage pour la première fois, on est frappé par l’immensité de ce pays (bien que derrière le Canada en terme de superficie, élément factuel toujours sympathique à lancer à un Chinois qui mentionne entre chaque bouchée de riz les 5 000 ans de sa civilisation!). Une question s’impose alors rapidement à l’esprit du voyageur : sans déménager en Chine, aurais-je assez d’une vie pour venir à bout de cette richesse, du festival hivernal de Harbin aux steppes mongoles, de l’ancienne île britannique de Hong Kong au « paradis terrestre » de Hangzhou? Incontestablement, des choix s’imposent.

La technique la plus efficace si un routard veut avoir vers la fin de sa vie le sentiment du devoir accompli est celle de la « black list ». Une liste des lieux à ne pas visiter. Si ce n’est pas déjà fait, je prends la liberté de vous conseiller un premier endroit à noter sur cette liste : Tianjin.


Voici ce qu’écrivait Simon Leys sur Tianjin, en 1974, dans son livre Ombres Chinoises, après un séjour en Chine maoïste:

« Tianjin présente la poésie funèbre et grotesque d’un décor de Kafka…orgueilleux frontons des banques impérialistes : palais jadis fastueux des chevaliers d’industrie et des barons de la finance, fausses villas romaines, pastiches de castels moyenâgeux, et puis tout à coup, une rue entière empruntée à une quiète banlieue bourgeoise d’Europe, avec ses nains de plâtre dans de jardinets à l’abandon; Disneyland tourné au cauchemar…et tout le reste est pisseux, écaillé, vétuste, croulant. »

Pour sa part, l’édition 2005 du Lonely Planet raconte que le « passé de concession étrangère, son infrastructure industrielle importante, son grand port et son architecture européenne lui ont valu le surnom de Shanghai du Nord. »

Mon premier séjour en Chine, en 2005, fut justement à Tianjin. Quelques 31 ans après Simon Leys, mes impressions concordaient néanmoins avec les siennes: une vieille ville industrielle fatiguée avec ses reliques de concessions camouflées sous le poids de la poussière et de la crasse. Une différence s’imposait cependant : la ville était en train de subir un lifting pour les Jeux Olympiques. La majorité des bâtiments de la ville était d’ailleurs marquée au rouge du caractère 拆 qui signifie: « À détruire. »

Il y a quelques semaines, un ami qui étudie à Tianjin m’invite à venir y passer le week-end. Pourquoi ne pas aller confronter les observations de Simon Leys encore une fois me dis-je. Pour parvenir au centre de Tianjin, l’autobus en provenance de Beijing, traversa la ville durant une bonne demi-heure. Tout est neuf! Ne chercher plus les signes 拆, c’est plutôt des inscriptions invisibles 新 (nouveau) qui marquent le paysage urbain. Modernisation, rénovation, restauration sur toute la ligne. Impossible de voir un bâtiment qui souffre du temps ou du maoïsme: le pavé, les trottoirs, l’aménagement, les marchés, tout brille.

Le voyageur, kidnappé bien malgré lui, ou s’étant endormi en route et manquant son arrêt, pourrait facilement se dire: mais quelle rapidité ces trains chinois, nous sommes bel et bien arrivés à Shanghai. C’est à s’y méprendre en effet! Et comme dans le cas de la métropole méridionale bien sûr, il ne reste que les concessions à visiter, seul intérêt pour le voyageur urbain. Choisir de visiter Tianjin revient à un tourisme chinois dont l’unique critère de sélection reprend celui qui préface des déambulations dans les villes américaines: Y-t-a-il un Chinatown icitte?

On dit du Sichuan qu’il ne faut pas visiter cette province jeune, car une fois sous l’emprise de son charme, une force imparable nous pousse à nous y installer indéfiniment. Je dirais que si on tient à visiter Tianjin, il vaut mieux y mettre les pieds une fois que l’on est âgé, voire très vieux, ou carrément atteint par Alzheimer: Question de s’assurer de ne point se souvenir de sa morne expérience.

Si vous résistez toujours et, arrivé en Chine, cette ville ne se trouve pas sur votre « black list », ou bien si une fois à Beijing, vous succombez au marketing du train fusil ou de l’autobus supersonique reliant la capitale à Tianjin, une observation tirée d’Ombres Chinoises reste pertinente: «C’est la nuit qu’il faut visiter Tianjin». De fait, une petite visite nocturne à cette ville vous permettra de concentrer votre expérience et votre attention sur la grouillante et animée vie du quotidien chinois dans laquelle s’efface alors une architecture aseptisée.


François Lachapelle, à Harbin

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