samedi 19 septembre 2009

Célébration socialiste Sino-Nord-coréenne à Chengdu



Le nucléaire est mis à l’écart pour faire place à la culture

Il fut un temps où seul le divertissement à forte teneur patriotique était permis en Chine. À cette époque, "La petite vendeuse de fleurs" (卖花姑娘) , opéra nord-coréen, plus tard adapté en film, faisait fureur au sein de l’empire du milieu. Côté récréation, 30 ans après les réformes économiques mises de l’avant par Deng Xiaoping, la situation est méconnaissable. Aujourd’hui, l’art nord-coréen a presque totalement disparu en Chine. Lorsque que la nouvelle de la venue de l’Orchestre Cinématographique Nationale Nord-Coréen vint à nous à Kunming, les 24 heures de train qui nous séparaient de Chengdu n’arrivèrent pas à calmer notre enthousiasme. Dans 50 ans d’existence, l’orchestre n’avait jamais quitté sa terre natale. La Chine semblait tout désignée pour célébrer ce baptême international. Pour la modique somme de 62 dollars canadiens, d’excellentes places au parterre nous attendaient pour ce moment qui promettait d’être pour le moins… bouleversant.



Après le succès retentissant connu à Beijing, une ville moderne, ouverte sur le monde, où le salaire moyen se situe dans les normes de certaines grandes villes occidentales, nous étions curieux de voir comment les Chinois pouvaient regarder ce pays qui demeure l’un des plus fermés du monde, où l’utilisation du terme « totalitaire » pour qualifier sa gouvernance ne semble pas exagérée. Bien que la Corée du Nord ait établi des relations diplomatiques avec plus de 150 pays autour du globe, celles-ci demeurent souvent tendues, ambigües, pour ne pas dire tout simplement comateuses. La Chine demeure incontestablement l’un des gouvernements les plus proches de Pyongyang. Beaucoup plus que de simples relations diplomatiques, elle représente un allié historique vers laquelle la République populaire de Corée (RPC) se tourne régulièrement.

À l’évidence, l’expérience culturelle allait dépasser de loin le simple aspect musical. Dès notre arrivée, nous constatons un pourcentage anormalement élevé de voitures américaines, japonaises et européennes garées dans le stationnement. Intéressant prélude à une soirée dédiée aux confrères révolutionnaires nord-coréens qui n’auront sans doute jamais la chance de posséder une voiture (produite par des pays impérialistes, de surcroît!).

Deuxième constatation, nous sommes les deux seuls « étrangers » à s’être déplacé pour l’événement. Ce fait a vite été remarqué par le reste de l’auditoire. Suite à une avalanche de questions, une certaine politesse s’impose : « nous sommes passionnés par la Corée du Nord! », bien sûr! Après une série de chansons à forte saveur anti-impérialiste, nous en venons peu à peu à remettre en question le caractère légitime de notre présence. Après tout, entre 1950 et 1953, le Canada envoya le 3ième contingent en importance combattre en Corée.



Grâce à des panneaux sous-titrés traduisant les paroles des chansons en chinois, nous étions à même de constater les quatre principaux thèmes revenant de façon récurrente : les beautés majestueuses du paysage nord coréen, l’éloge au maréchal Kim Jong Ill ou de son père, Kim Il Song (qui, même si décédé en 1994, demeure président "à vie" de la PRC), la fraternité Chine-Corée, ou encore la haine envers l’impérialisme. Nos morceaux préférés furent définitivement ceux qui réussirent à regrouper ces quatre thèmes dans la même chanson. L’un des moments les plus forts de la soirée fut une chanson dédiée aux volontaires chinois ayant combattu en Corée, évitant ainsi la vassalisation du nord de la péninsule à l’Empire. Enorgueillis, plusieurs se levèrent pour suivre le rhythme avec enthousiasme en claquant des mains. À travers ces instants glorieux, on arrivait presque à oublier la situation actuelle en Corée du Nord. Est-ce que quelqu’un dans l’assistance avait pensé à comparer la Corée du Nord à n’importe quel autre pays du monde? Comme Deng Xiaoping l’avait déclaré 30 ans plus tôt, peu importe que le chat soit blanc ou noir, l’important c’est qu’il attrape les souris. Intéressante réflexion lorsque l’on sait que, idéologie mise à part, le produit national brut per capita est de 27 600 USD (51ième rang) en Corée du Sud, de 6 000 USD en Chine (133ième), et de 1 800 USD en Corée du Nord (189ième). Il n’est pas difficile de s’imaginer que Beijing ressemble aujourd’hui beaucoup plus à Séoul qu’à Pyongyang, en d'autres mots que les chats nord-coréens attrapent moins de souris...

Bien que l’heure fût à la solidarité entre voisins socialistes, en restant réaliste, la Corée du Nord aurait tout avantage à délaisser un tant soit peu la rhétorique pour apprendre de ses camarades chinois. Depuis l’arrivée des réformes qui placèrent le pays sur les voies de la croissance accélérée en 1978, la Chine renoua ses liens diplomatiques avec les États-Unis en 1979, le Vietnam en 1991, la Corée du Sud en 1992. De toute évidence, en politique, les ennemis d’hier sont souvent les alliés d’aujourd’hui. Les Chinois sont, plus que quiconque, extrêmement conscients de l’importance des États-Unis comme partenaire économique, et non comme d’un ennemi impérialiste à annihiler.



La Chine, qui cherche à créer un climat de stabilité en Asie propice à perpétuer sa croissance économique, est de plus en plus agacée par le dossier nucléaire nord coréen. Sur ce point, la Chine est assise du même côté de la table que les États-Unis. Il sera d’ailleurs intéressant de suivre le compte rendu du sommet trilatéral qui sera bientôt tenu à Beijing entre la Chine, la Corée du Sud et le Japon. Après l’annonce faite par le North Korean Times, qui affirmait que les leaders militaires nord-coréens étaient présentement prêts à procéder à un troisième test nucléaire à l’uranium enrichi, la position de Pyongyang risque de se retrouver au centre des discussions lors du sommet.

Enfin, pour revenir au spectacle, tant d’enthousiasme pour cette célébration révolutionnaire socialiste réussit pleinement à nous faire revivre une autre époque. Toutefois, en sortant du stade, nous étions toujours à Chengdu, une des villes les plus prospères du centre de la Chine, dans un pays où le communisme a déroulé le tapis rouge à une économie de marché capitaliste. Alors que nous discutions avec un ami connu lors du concert des nombreux « longue vie à Kim Jong Ill » (万岁,万岁 金长日将军!) chantés tout au long du concert, celui-ci nous lança franchement : « Sacré dictateur, ce Kim Jong Ill!!! ». Ces dernières paroles nous rassurèrent et nous rappelèrent que, bien qu’appréciant cette performance artistique leur rappelant la Chine des années 60, les Chinois sont loin d’être naïfs lorsqu’il est question de leur voisin nord-coréen.

Nicolas Laflamme et Charles Hudon, à Kunming

3 commentaires:

Pengyou a dit…

Nicolas et Charles, vous auriez du sortir vos guitares pour montrer ce que vous savez faire. Voici une modernisation qu'ils ne connaissent pas ! Merci pour ce témoignage.

Justin

Valérie Nichols a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Valérie Nichols a dit…

C'est du bon travail de terrain les gars!

Comment avez-vous trouvé les arrangements musicaux de ces jolies ballades nationalistes? Ça s'écoutait?

Pour quelques articles étranges d'intellos chinois un peu fan de Kim Jung Il, je vous conseille la lecture du blog de Huang Jisu 黃紀蘇, sociologue et dramaturge (Che Guevara).

Valérie
ancienne Kunming ren