jeudi 4 juin 2009

Réactions à chaud: Temps pluvieux sur Harbin



Harbin connaît depuis hier, le 3 juin, une vague de froid et de fortes pluies. Comme si, devant le mutisme du gouvernement chinois entourant les tragiques évènements du 4 juin 1989, le ciel avait décidé de se faire la conscience d’une histoire étouffée. Click here for English.

Salut, me dit Zhou Meng qui vient d’arriver avec son ami au U.B.C café où je suis installé depuis quelques heures à lire les quotidiens de la ville. Il me présente son ami, Zhang Lei. Ce dernier a l’air un peu nerveux, méfiant. Tout deux sont étudiants au doctorat à l’Harbin Institute of Technology (parmi les 10 meilleures universités chinoises) et moi, futur sinologue québécois qui perfectionne son chinois dans la même ville. Je leur demande s’ils ont discuté, au moins abordé le sujet «de la place Tiananmen» avec leurs camarades de classe récemment.

«Hier, commence Meng, j’ai demandé à un ami s’il connaissait la signification du jour d’aujourd’hui, le 20ième anniversaire…..ce dernier me coupa pour me demander, sceptique, si c’était ma fête!» Cette anecdote rendrait bien compte de l’ignorance généralisée de la jeune génération autour des événements de Tiananmen. Mais Zhou Meng en rit. Il prend le tout avec un grain de riz. Il a étudié 3 ans au Canada dans le cadre de sa maîtrise. Cette période a complètement changé sa façon de voir l’histoire et l’évolution de son pays. Comme il parle parfaitement anglais et baragouine un peu le français, il s’informe régulièrement sur des sites étrangers. Zhang Lei est arrivé à une nouvelle version de son histoire et de 1989 par la culture du rock pékinois. Les thèmes abordés, l’histoire et le vécu de certaines des figures de proue de ce mouvement toujours underground l’ont éveillé.


Le but de ma rencontre avec ces deux étudiants était de pouvoir analyser ensemble certains journaux, ou pour utiliser une expression de l’écrivain Simon Leys, tenter « d’interpréter des inscriptions inexistantes écrites à l’encre invisible sur une page blanche.» C’est-à-dire tenter de rechercher dans les articles publiés aujourd’hui des critiques, des références cachées aux évènements de 1989. Contrairement à l’enthousiasme des deux étudiants face à ma proposition, l’idée d’un tel exercice me valut un regard amusé, voire condescendant de mon professeur de chinois. Pourtant, cette méthode du renvoi à l’histoire pour critiquer le présent est une tradition chinoise dont les mandarins usaient pour exprimer leurs opinions et ainsi combattre l’orthodoxie.

Aujourd’hui, en page 4 du City News de Harbin, on retrouve un article sur la planification secrète de l’embaumement de Mao Zedong et de l’emplacement de sa sépulture. On y explique donc l’organisation du projet avant que ce dernier soit présenté au peuple chinois. Zhang Lei me regarde en souriant : «où est situé ce monument? Place Tiananmen! Le bâtiment a été la cible de saccages depuis les manifestations du 4 mai 1989. Sans le régime de Mao et surtout l’expérience douloureuse de la Révolution Culturelle, cette mobilisation pour la démocratie des années 70-80 n’aurait jamais pu se déployer avec autant d’énergie et de force.»

Dans ce même journal, on retrouve une demi-douzaine d’articles traitant d’une manière ou d’une autre des années 1980 : génération née dans les années 80 et le divorce, un voleur voulant échapper à la police après un délit qui dut quitter sa ville natale pour prendre le maquis durant vingt ans. Il y serait miraculeusement revenu tout récemment. Zhou et Zhang estiment qu’on peut interpréter la première nouvelle comme le divorce forcé entre le rêve de liberté et les manifestants de la place Tiananmen, alors que l’histoire du voleur serait une référence à l’homme dernièrement libéré par la police après vingt ans d’emprisonnement. En dernière page du Modern Evening Times, cette fois, un autre quotidien de Harbin, se trouve une photo commentant l’action d’un jeune avocat de la ville qui depuis hier (le 3 juin) tient un kiosque dans la rue afin d’informer les citoyens sur les mesures à prendre au cas où ils se retrouveraient confrontés à des problèmes légaux.

Zhang Lei me raconte comment l’année dernière, à pareille date, un article critiquant le révisionnisme historique des livres d’histoires japonais lui avait procuré un sentiment bizarre. L’article, au lieu de se concentrer sur les excuses qu’aurait dû formuler le gouvernement japonais à la Chine, insistait sur le fait que le gouvernement nippon devait, par devoir moral, cesser de maintenir son peuple dans l’ignorance et avouer la vérité concernant les actions de son armée en sol chinois durant la Deuxième Guerre Mondiale.

Lorsque je leur demande s’ils croient vraiment à ce genre d’interprétation, ou s’ils se prêtent seulement au jeu, Zhou répond : «plusieurs signes malgré la culture du silence et de l’ignorance forcée du peuple m’indiquent qu’une conscience historique continue d’exister en Chine. Des gens qui veulent la vérité et plus même. Il existe bien des intellectuels, des journalistes, des gens du peuple qui, pour garder vivante leur volonté, commettent des actions ( les mères de Tiananmen, les mémoires inédites de Zhao Ziyang, la pétition de la Charte 08, etc…). Et si c’est seulement le fruit de mon imagination (il me rappelle que c’est moi qui leur ait proposé cet exercice), ce qui est fort possible, et bien cela m’aide quand même à garder espoir!»

En sortant du café, la froide pluie qui tombait depuis plus de 24 heures sur la ville a laissé place à un timide soleil perçant le ciel grisonnant comme si cette rencontre avait aidé à atténuer la tristesse et la colère du ciel.

Cet exercice a aussi réussi à créer un doute dans mon esprit. La dernière phrase de l’article concernant Mao mentionnait que le 30ième anniversaire de la construction de son mausolée eut lieu en septembre 2007. Est-ce une façon de rappeler sous un autre jour la date d’aujourd’hui, le 20ième «anniversaire» du massacre de la place Tiananmen?

François Lachapelle, à Harbin

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