vendredi 29 mai 2009

Tiananmen: Bientôt 20 ans et le flou persiste





À première vue, rien n’est flou à propos de Tiananmen lorsqu’on regarde ce qui s’est passé : des manifestations étudiantes s’opposant aux aspects négatifs des réformes de Deng Xiaoping, dégénérant en mouvement social à grande échelle, le tout ayant été laissé mijoter par un gouvernement divisé, jusqu’à ce que l’aile radicale du Parti décide d’éliminer ce mouvement au moyen d’une intervention militaire plus que brutale. Pourtant, après vingt ans de recherches et de souvenirs, les interprétations semblent encore contradictoires, signe que la charge émotionnelle de cet événement n’a rien perdu.

Récemment, le site web du journal Le Monde a mis en ligne un montage multimédia à partir des photos prises par Patrick Zachmann, un photographe français, où il raconte sa participation au mouvement de la place Tiananmen du 13 au 23 mai 1989. Photos, témoignages et souvenirs ponctuent un tableau nostalgique d’une jeunesse chinoise idéaliste ayant lancé un mouvement comparable, selon les termes de l’auteur, à un Woodstock ou à un Mai 68 « à la chinoise ». Il complète ce tour multimédia par deux entrevues avec des Chinois de différentes générations, pour montrer les perspectives existantes en Chine quant à ce mouvement.


Quelques semaines plus tôt, sur un blogue intitulé « Fool’s Mountain : Blogging for China », Mark Anthony Jones exposait une vision radicalement différente du mouvement étudiant, utilisant les témoignages de grands noms du journalisme ou de la recherche sur la Chine (Andrew Nathan, Jan Wong…) pour en donner une version passablement plus complexe et moins romantique que celle de Zachmann.

Pour le grand public, ou bien pour le néophyte n’ayant pas fait de recherches approfondies sur ce sujet, avoir une vision claire est particulièrement difficile. Sujet tabou et censuré en Chine, bourré de charge émotionnelle partout dans le monde, il est normal qu’on cherche à le décrire en des termes familiers dans les médias. Entre la vision d’un « Woodstock » chinois et celle d’un mouvement de revendications plus froid, organisé et banal, comment départager ces deux visions ?

Peut-on voir les étudiants chinois comme des idéalistes au grand cœur, ayant défié leur gouvernement dictatorial au nom de leurs idéaux jusqu’au sacrifice final ? Ou bien peut-on voir cet événement comme un banal mouvement social que le gouvernement chinois a commis l’erreur de tolérer un peu trop longtemps ? Quelle était la place exacte des étudiants, des ouvriers et de la population générale en son sein ? Quelles étaient les revendications de tous ces groupes et à quel point étaient-ils unis ? Quel danger représentaient-ils pour que la réponse du gouvernement soit si violente ? Plus important encore : toutes ces questions sont-elles posées dans l’esprit de savoir ce qu’était le mouvement, ou dans l’esprit de ce que nous pensons qu’il a été ?

Toutes ces questions sont peu agréables à poser et difficiles à répondre. Il est cependant clair qu’apposer des étiquettes familières au public occidental sur les événements chinois risque à terme de nous éloigner de leur signification pour la conscience et le contexte chinois. Bien plus que Woodstock, c’est le mouvement du quatre mai et, bien plus présente dans la conscience populaire, la Révolution Culturelle qu’il faut considérer ici. Juger sévèrement la réaction du gouvernement chinois est nécessaire, comprendre la nature du mouvement de Tiananmen et de ses revendications l’est encore plus ; toutefois, il est indispensable d’envisager cet événement dans les termes et le contexte de l’histoire chinoise. C’est la seule concession que nous pouvons faire à cet événement tragique qui est loin d’avoir fini de monopoliser les esprits.


Ivan Barreau

1 commentaire:

Valérie Nichols a dit…

Merci Ivan pour ces liens. J'ai adoré visionner le photo-reportage du journaliste du Monde. À force de lire des articles sur l'impression de journalistes d'alors, sur les scandales de la classe dissidente, on en oublie de regarder les événements de Tiananmen avec des yeux de 20 ans.

On oublie les voix de centaines de milliers: leurs idéaux d'alors, leurs frustrations, leur force de caractère. On retient les paroles confuses de Chai Ling au milieu dèun nervous breakdown qui réclame le sang.

On oublie le coeur et le corps blessés de milliers. On retient les guerres de clan d'une poignée en exil.

On oublie la spontanéité de leurs interventions: la fraîcheur et la candeur de celles-ci. On retient les guerres de pouvoir au sein des étudiants.

Et si on avait tous 20 ans un instant? Entendons Tiananmen pour ces 20 ans.