mardi 12 mai 2009

Réactions à chaud: Jackie Chan à la rescousse de l’autoritarisme en Chine



Loin d’être tiré du scénario de l’un de ses prochains films, c’est en ces termes que s’exprimait Jackie Chan lors du Boao Forum qui s’est tenu sur l’île d’Hainan le 18 avril dernier :

“I’m not sure if it’s good to have freedom or not…Freedom has made Hong Kong and Taiwan very chaotic…I’m gradually beginning to feel that we Chinese need to be controlled. If we’re not being controlled, we’ll just do what we want.”

Après coup, Chan insistera sur le fait que ses propos avaient été cités hors de leur contexte et qu’il parlait du contrôle de l’industrie cinématographique seulement. Mais c’était déjà trop tard : les médias et la blogosphère avaient trouvé en ses propos leur cause du jour et le pauvre comédien de se faire traiter de tous les noms. Comme quoi en Asie—comme en Amérique—on peut passer rapidement du cinéma, au théâtre (politique), voire au cirque.


Selon le New York Times, le maire de Taipei a d’ailleurs d’ores et déjà laissé savoir que Jackie Chan ne serait pas, tel que prévu, l’ambassadeur des Jeux Olympiques pour sourds qui se dérouleront dans sa ville cet été. Pour sa part, le ministère du tourisme de Hong Kong a laissé entendre qu’il risquait de revenir sur le rôle de porte-parole de l’île joué par l’artiste. Sur Facebook, plus de 16 000 personnes ont déjà joint un groupe proposant d’expatrier Chan en Corée du Nord (Kim Jong-il est après tout, tout le monde le sait, un féru de cinéma...)! La réaction en Occident ne lui fut guère plus favorable. « Comment a-t-il pu oser? » reflète le sentiment général. « Après lui avoir si généreusement ouvert les portes d’Hollywood, voilà comment il remercie l’Occident ! »

À moins que Chan ne l’ait trop bien compris… la liberté d’expression, c’est ça! Un citoyen qui exprime—de façon maladroite en l’occurrence—ses humeurs politiques, rien de plus. Nous pourrions facilement comprendre la colère des familles des victimes de Tiananmen, des proches de prisonniers d’opinion ou de toutes les autres victimes de décisions arbitraires prises à Pékin, face aux propos malvenus de la part d’un homme bien connu et--jusqu'à là--bien aimé. Mais loin d’être marginale, l’opinion exprimée par Chan représente la pensée de vastes pans de la population chinoise. De l’universitaire au politicien, en passant par le simple citoyen, des gens en provenance de tous les horizons souscrivent aux thèses de l’autoritarisme économique, de la spécificité chinoise ou à celle des nécessités reliées à la surpopulation ou au retard économique. Entre la liberté et la non-liberté de parole (pour ne rien dire du "political correctness), le cœur de beaucoup balancerait.

Le pire dans tout ça, c’est qu’à travers tout cet émoi, quelqu’un pourrait en venir à croire qu’Hong Kong et Taïwan sont des exemples parfaits de la démocratie. Or, en mars dernier, le procès pour corruption et blanchiment d’argent de l’ancien président, Chen Shui-bian, de son épouse Wu Shu-chen, ainsi que d’une dizaine d’autres politiciens nous rappelait que, au-delà des institutions et de forts taux de participation aux élections, certains ajustements fondamentaux restaient à apporter à la vie politique taïwanaise. En outre, malgré le fait que les Hongkongais bénéficient incontestablement d’un ensemble de droits et libertés niés au reste des citoyens chinois, le Chief Executive demeure nommé par un groupe de représentants, qui lui aussi est nommé et non élu. Comme quoi la liberté d’expression est un droit politique qu’il faut employer avec beaucoup de diplomatie—chez soi, si possible.

Charles Hudon

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