mardi 26 mai 2009

Lu et vu: Voix d’outre-tombe



J’étais en Chine lorsque j’appris la mort de Zhao Ziyang en mai 2005. Quelle ne fut pas ma surprise de réaliser qu’aucun de mes jeunes amis dans la vingtaine, la plupart pourtant des étudiants universitaires, ne connaissaient le nom d’une des figures les plus marquantes de la vie politique chinoise des années 1980.

A la loi martiale imposée par le régime en juin 1989 pour reprendre le contrôle à partir des manifestants, Zhao Ziyang s’y opposa jusqu’au bout. Alors que les manifestations firent rage de Pékin à Wuhan, le Secrétaire général du Parti communiste d’alors réclame le dialogue avec les chefs-étudiants. Seule une relaxation de la ligne dure du parti saura, insiste-t-il, éviter un bain de sang. Il ne sera pas écouté. Dans la soirée du 3 juin, les tanks pénètrent la ville. Au matin, la place Tiananmen est vidée et ceux qui l’ont fait vibrer pendant plusieurs semaines, recherchés…ou enterrés. Zhao Ziyang, pour sa part, écope: destitué de ses fonctions, il est sommé à résidence surveillée.

Voila ce qui explique l’engouement entourant la publication de Prisoner of the State: The Secret Journal of Premier Zhao Ziyang (lire des extraits) à l’approche du vingtième anniversaire des evenements de Tiananmen. Celui qu’on avait tenté de faire disparaître a réussi un coup de génie : se faire entendre—du moins en Occident—pour une dernière fois.


Pendant les dernières années de sa vie, Zhao Ziyang enregistre ses mémoires sur de vieilles cassettes d’opéra pékinois. Une à une, il les glisse hors de sa résidence par les mains de ses intimes. On en découvrira plus d’une trentaine remise à différentes personnes de confiance. Pour éviter les répétitions, les enregistrements n’ont pas été reproduits dans leur intégralité. La lecture du journal de Prisoner of the State n’en demeure pas moins un exercice laborieux. Zhao reprend en détail la chronologie des événements des mois d’avril, mai et juin 1989. Il y ajoute ses impressions d’alors de la situation et des guerres intestines sévissant alors au sein du parti communiste chinois.

Zhao Ziyang narre ses efforts ratés de calmer l’aile radicale du parti, réclamant eux l’imposition de la loi martiale aussi tôt que le 26 avril 1989. Il y relate ses prises de bec avec Li Peng, ardent supporteur de l’usage de la force, alors premier ministre. Zhao expose en détail les étapes de sa chute du pouvoir durant les semaines précédant le massacre. Des dernières décisions, il ne fera pas partie. « On the night of June 3rd, while sitting in the courtyard with my family, I heard intense gunfire. A tragedy to shock the world had not been averted, and was happening after all. »

Au lendemain du massacre, Zhao Ziyang est soumis à une longue enquête interne. Ses mouvements sont limités au maximum. C’est ainsi que Zhao passera les 16 dernières années de sa vie dans l’ombre de ses quartiers. Le but d’une telle mesure: s’assurer que Zhao ne devienne pas un martyr pour une nouvelle génération, comme le fut son prédécesseur Hu Yaobang.

La partie la plus révélatrice de son récit concerne ses années de captivité. Zhao relate avec précision ses efforts pour obtenir l’extension de ses libertés individuelles. Il y reprend textuellement les lettres envoyées aux dirigeants de l’époque et y résume la nature des permissions obtenues durant cette période.

Là se trouve exprimée toute l’absurdité de sa condition mais aussi sa confiance—déplacée, hélas—à l’endroit du système légal de la nouvelle Chine qu’il avait contribué à façonner. Homme déchu, Zhao n’abandonne pas l’espoir d’être un jour libéré. Comme le souligne d’ailleurs le sinologue Roderick MacFarquhar en préface : « To the end, he seems genuinely, if naively, to have believed that at some point his opponents might crack under the weight of his impeccable legalism. Of course, they didn’t. »

Au fil de ses lamentations, Zhao Ziyang apparait comme un homme profondément blessé et seul. Laissé pour compte par ses anciens camarades du Parti, il n’aura pas la chance de dire un dernier au revoir à ses amis. Surtout, il paiera de sa liberté la politique de stabilité du gouvernement chinois des années 1990.

Zhao Ziyang, victime trop souvent oubliée de Tiananmen, aura réussi avec ses manigances et ses vieilles cassettes de jeter une nouvelle lumière sur les guerres intestines sévissant au sein du parti communiste a la fin des années 80. Certes, la publication de son journal ne fera pas trembler le pouvoir d’aujourd’hui. Pourtant, si elle pouvait permettre l’éclosion d’une mémoire collective plus transparente quant aux evenements, Zhao n’aurait pas pris ses risques en vain.

Valérie Nichols

Aucun commentaire: