jeudi 28 mai 2009

Explorations: Requiem pour le mythe méritocratique de l'université chinoise




À l’approche du gaokao (高考), l’examen national d’entrée à l’université, plus de dix millions de jeunes lycéens chinois s’apprêtent à jouer leur avenir. De ce nombre, un peu plus de la moitié accèdera aux études supérieures et à la promesse d’un avenir meilleur. Pour certains cependant, les bonnes notes ne suffiront pas : jugés trop petits, trop faibles ou inadéquats, les portes de plusieurs écoles ne s’ouvriront pas à eux.

Au cœur de la récente controverse, la Faculté de médecine de l’Université de Pékin (Beiyi) qui, le mois dernier, annonçait et défendait publiquement sa décision de restreindre l’accès à ses programmes aux candidats trop petits (moins de 1,50m pour les filles et 1,60m pour les garçons), dont le poids dépasse de 20% le poids santé ou étant porteurs de l’hépatite B.

Jugées excessives par plusieurs activistes et avocats chinois, ces mesures ne sont cependant que le reflet de critères officieux d’admission ou d’embauche déjà existants. En effet, les histoires de jeunes chinois subissant des chirurgies d’allongement des jambes ou de porteurs de l’hépatite B renvoyés de leur écoles ou refusés à l’embauche sont fréquentes. Ce qui choque ici est de voir une Faculté de la plus prestigieuse université de Chine s’en réclamer ouvertement. Et derrière elle, une bonne partie des établissements d’enseignement et de recherche les plus prestigieux du pays.


De fait, la discrimination envers les porteurs de l’hépatite B serait endémique dans le milieu universitaire chinois, tout particulièrement dans les écoles de médecine et les centres de recherche de la Défense Nationale et de l’Académie chinoise des sciences (ACS). Selon un rapport de l’ONG anti-discrimination Yirenping (益任平) paru en octobre 2008, au moins 94 des 113 centres de l’ACS refusent aux porteurs de l’hépatite B l’admission aux études de 2e et 3e cycles.

Alors que l’exclusion systématique des porteurs de l’hépatite B des écoles de médecine mérite discussion et modération (p.ex. pourquoi les exclure des disciplines non cliniques?), leur exclusion de la recherche aux cycles supérieurs et la discrimination sur la base de la taille ou du poids – sans égard aux performances académiques – laissent pantois.

Une discrimination institutionnalisée

Selon l’avocat pékinois Li Fangping, l’absence d’un cadre légal anti-discrimination et le laisser-faire de plusieurs ministères a laissé les coudées franches aux grandes universités pour progressivement resserrer leurs règles.

En 2003, le Ministère de l’Éducation, de la Santé et la Fédération des personnes handicapées de Chine publiaient conjointement, à titre de suggestion aux universités, les Lignes directrices concernant l'examen physique de recrutement des écoles régulières d'enseignement supérieur. D’abord accueillies favorablement, celles-ci semblent aujourd’hui faire autant partie de la solution que du problème.

D’une part, ces Lignes sans force de loi se voulaient une tentative de circonscrire et d’uniformiser les critères de sélection physiques à des champs d’étude précis pour éviter la discrimination. Par exemple, elles stipulent que les porteurs du virus de l’hépatite avec une fonction hépatique normale ne devraient généralement pas être exclus des programmes d’études, excepté l’enseignement préscolaire, les études navales, l’aéronautique et l’agro-alimentaire (aucune mention ici de la médecine).

Du même souffle cependant, les Lignes laissent entrevoir une logique différente en interdisant, par exemple, aux bègues d’étudier la médecine et en décourageant les balafrés et les bossus d’étudier les arts de la scène, le journalisme ou le droit.

Ainsi, bien qu’incluant quelques dispositions anti-discrimination, ces Lignes directrices promeuvent clairement l’idée qu’il est acceptable d’utiliser des critères non fondés sur le mérite académique pour sélectionner les étudiants, ou à tout le moins, imposer une vision de ce que devrait être le candidat idéal pour une discipline donnée.

Logique de marché
Un responsable du recrutement à Beiyi cité anonymement dans le quotidien The Beijing News affirmait ainsi agir dans l’intérêt de ces candidats qui, au sortir de leurs études, auraient de la difficulté à se trouver un emploi. En les excluant d’emblée, Beiyi croit pouvoir leur éviter ce désagrément et ne pas gaspiller les ressources dévolues à leur formation. Autrement dit, prenant acte de la discrimination dont fait preuve le marché du travail, l’université discriminerait à son tour, « préventivement ».

L’implication directe des gouvernements central et municipaux dans le financement et la gestion des universités n’est pas étrangère à cette pression de créer des candidats aptes au marché du travail. À cet égard, on peut douter du niveau d’autonomie institutionnelle que conservent réellement les universités

Pour le blogueur Xin Haiguang cependant, cette logique mercantile où chaque étudiant est traité comme un investissement devant rapporter le plus grand profit possible n'est ni plus ni moins qu'une trahison de l'esprit universitaire. Selon lui, non seulement cette logique réduit-elle les études à une préparation au marché du travail (« Certes, nous voulons vivre et prospérer, mais le but des études n’est-il pas surtout de développer nos aspirations et notre vertu? » ), elle s’avère aussi résolument incompatible avec le droit de tous à l’éducation.

Devant la massification de l’université chinoise – passée en l’espace de quelques années d’un système élitiste à un système de masse – et les difficultés en découlant (hypercompétitivité, taux de chômage d'environ 25% chez les nouveaux diplômés, mise en concurrence des universités, etc.), il serait étonnant de voir les universités réguler leurs pratiques sans le concours du gouvernement et la mise en place d’un cadre légal anti-discrimination plus cohérent.

Nul doute toutefois qu’il serait de leur devoir de le faire.

Simon Hobeila

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