vendredi 29 mai 2009

Explorations : Confucius, Kang Xiaoguang, et l’avenir de la Chine (2)



Kang Xiaoguang, futur confucéen, fait ses études de bacc en mathématiques appliquées, et une fois diplômé en 1986, enseigne pendant 4 ans comme jeune professeur au sein du Département d’agronomie de l’Université de Shenyang, au nord-est de la Chine. En 1990, il entame ses études de maîtrise en écologie à l’Académie chinoise d’études en sciences sociales, à Beijing. C’est au lendemain de l’écrasement des manifestations de Tiananmen, la Chine se fait conspuer par la communauté internationale. La réponse chinoise? Une défense musclée de sa spécificité nationale : la Chine possède une culture et une expérience uniques, lui permettant de définir droits et démocratie comme bon lui semble, et gare aux sales étrangers qui lanceraient des complots contre la Chine sous prétexte de se soucier du bien-être du peuple chinois. Cette vague de nationalisme culturel, qui souffle encore de nos jours, Kang Xiaoguang baigne dedans; il est un étudiant ambitieux qui veut rendre service à la patrie et au peuple.

Diplômé en 1993, Kang se fait nommer chercheur au Centre de recherche en sciences éco-environnementales en 1994, et passe sa première année comme chercheur dans les villages de Guizhou, une des régions des plus pauvres de la Chine. Son but? Étudier de près les causes et les conditions de la pauvreté qui hante la Chine rurale. Il devient alors le champion public des pauvres, publiant des articles et des livres remettant en question la vision « néo-libérale » de l’époque, l’idée que les pauvres méritent leur sort parce qu’ils manquent de la « qualité » (suzhi) nécessaire pour faire mieux. De fil en aiguille, Kang s’implique dans les projets anti-pauvreté à l’échelle nationale, comme le Projet espoir, géré par le China Youth Development Foundation. Cette fondation est le symbole même de l’émergence d’une société civile à la chinoise, des groupes autonomes (ou semi-autonomes) qui prennent forme au cours des années 1990 et remplissent le vide créé par le démantèlement du système socialiste. Kang écrit d’ailleurs des articles et des livres pour fêter la capacité chinoise à se gérer sans l’ingérence de l’État. Kang considère qu’il assiste à la naissance de la nouvelle Chine, après un accouchement long et difficile.


Or « l’affaire Falun Gong » met fin à ce beau rêve. Mouvement controversé à présent, le Falun Gong trouve ses origines dans un engouement plus large pour le qigong (la « discipline du souffle »), un mouvement de masse qui s’épanouit en Chine depuis la fin des années 1970. Mélange de science (ou peut-être de science-fiction) et de nationalisme culturel, le qigong et le Falun Gong prétendent pouvoir guérir des maladies et perfectionner le corps et l’esprit des pratiquants, moyennant un dévouement à des maîtres charismatiques qui—comme les rock stars nord-américains—dispensent leurs enseignements dans les stades et arènes des grandes villes de la Chine. Cautionné par l’État au départ, le mouvement attire des centaines de millions de Chinois qui redécouvrent par ce biais une culture populaire traditionnelle supprimée sous l’ère maoïste. Jusqu’à ce que le Falun Gong dépasse les limites tacites du politically correct en Chine : en organisant une grande manifestation à la porte du siège central du Parti communiste à la fin avril 1999. La réponse des autorités chinoises va au-delà de la suppression du Falun Gong et remet en question l’autonomie (voire l’existence) de toute organisation autonome ou semi autonome—dont celles célébrées par Kang Xiaoguang, dévouées à la lutte contre la pauvreté.

Kang est sidéré par ce revirement, et c’est tout à son honneur; il publie alors un livre (à Hong Kong) où, sans défendre le Falun Gong, il pointe du doigt les autorités chinoises pour ne pas avoir respecté la société civile comme elle aurait dû le faire. Mais c’est peine perdue, et il le sait. En 2001, il part aux Etats-Unis pour passer un an comme chercheur invité à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University, à Washington, D.C. Il est ainsi sur place pour assister aux attentats terroristes aux Twin Towers et à la réponse ultranationaliste de l’adminstration Bush. Il relit Choc des civilisations, ouvrage devenu classique du politicologue Samuel Huntington, à la lumière de ces événements. Déclic. Après la guerre froide, comme Huntington le dit, il ne reste plus que la culture comme enjeu principal des relations internationales et comme indice de la valeur nationale. En Chine, pourtant, c’est le cirque. Tout au long du 20e siècle la culture chinoise traditionnelle s’est fait l’objet des critiques modernisatrices. À la culture confucéenne, le gouvernement de la Chine préfère tantôt le libéralisme, tantôt le communisme, l’un aussi occidental que l’autre.

Kang en vient alors à la conclusion qu’il faut à la Chine une culture à la hauteur du défi lancé par Huntington. Son choix tombe tout naturellement sur le confucianisme -comment la Chine fera-t-elle figure de leader mondial si elle ne fait que recourir à des repères culturels étrangers? Mais sa pensée va plus loin. Il décide de vendre le confucianisme à la fois au régime et à la société chinois, dans l’optique de permettre à l’État et à la société de se retrouver, et donc de passer outre l’impasse créée par l’affaire Falun Gong. Kang sera désormais un confucianiste convaincu mais d’abord et surtout opportuniste.

David Ownby

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