jeudi 14 mai 2009

Explorations: Confucius, Kang Xiaoguang, et l’avenir de la Chine (1)



Depuis quelques temps déjà, le gouvernement chinois, et d’abord le Parti communiste chinois (PCC), vit une véritable crise de légitimité. La crise évolue au ralenti car elle est issue du grand succès économique que connaît l’Empire du milieu depuis trente ans. Succès dont les leaders du Parti peuvent se targuer d’avoir été les auteurs. Qu’en est-il de la nature de la crise? C’est que le marxisme-léninisme, la doctrine « scientifique » servant de base théorique avérée à la légitimité du PCC, n’a joué aucun rôle dans la montée fulgurante de la Chine depuis la mort de Mao Zedong. Les forces du marché, oui. La mondialisation, oui. L’autoritarisme, peut-être. Mais on peut être autoritaire sans être marxiste, ce que le PCC (et peut-être le peuple chinois, voilà le hic) n’est pas sans savoir. D’où la tentation confucéenne.

Pour les leaders du Parti, comme pour certains intellectuels chinois d’ailleurs, le confucianisme est synonyme de tradition glorieuse, de fierté nationale, de société hiérarchisée et de gouvernement autoritaire. Il s’agit surtout d’une marque de commerce bien connue dont le produit reste à définir. De fait, tout au long du 20e siècle, le confucianisme a été l’objet de condamnations répétées pour avoir été à la fois symbole et substance de l’ordre « féodal », un ordre que les modernisateurs, qu’ils soient communistes ou républicains, auraient voulu voir définitivement disparaître. De sorte que, depuis 60 ans, il ne reste plus grand-chose du confucianisme en Chine—plus d’écoles ou d’académies, plus d’écrits, plus de professeurs. Certains comportements et habitudes exceptés, bien ancrés dans les mœurs et dans la culture chinoises. Si tant est qu’on puisse d’ailleurs les étiqueter de « confucéens » , à mes yeux, ils seraient bien davantage et tout simplement… « chinois ». Quoiqu’il en soit, en un temps où tout ce qui est « traditionnel » prend un certain cachet, voire de la valeur, il semble plaire aux Chinois d’apprendre qu’ils sont bel et bien restés confucéens. Et c’est sur ce terrain de redécouverte (ou de réinvention?) de cette tradition que le PCC songe peut-être à rasseoir sa légitimité.


En même temps, mettons-nous à la place de Hu Jintao ou de Wen Jiabao, ou même de n’importe quel autre leader du PCC, et posons-nous la question suivante : comment et à quel moment allons-nous annoncer la chose à la Chine? À partir de quand les membres du Bureau politique arboreront-ils fièrement des T-shirts (mieux, des casquettes) portant le logo « Cool Confucius »? À quel moment le Quotidien du peuple changera-t-il de nom pour devenir Confucius dit? Il n’est pas très compliqué de comprendre que certains problèmes de PR se posent ici à la République populaire de Chine. Face à ces problèmes, le PCC donne le feu jaune au confucianisme dans le sens où il permet aux particuliers et aux groupes intéressés à se lancer dans diverses initiatives confucéennes de le faire, sans risquer de se voir mettre des bâtons dans les roues. On notera parmi ces initiatives, la multiplication d’écoles privées confucéennes, des best-sellers qui font la promotion d’un confucianisme quelque peu « nouvel âge » ou encore certains discours intellectuels.

Pour une conférence que je donne au mois de juin prochain, à Taiwan, dans le cadre d’un colloque sur « Confucianisme populaire et sociétés rédemptrices », je m’attelle à l’analyse d’un de ces intellectuels, un certain Kang Xiaoguang. Né en 1963, Kang est jeune. Formé en sciences sociales « dures », il lutte contre la pauvreté, revendique la liberté de presse et d’association, tout en travaillant comme insider dans les centres de recherche et des thinktanks parmi les plus connus. En même temps, il dénonce sans retenue l’exploitation du peuple aux mains des capitalistes et du gouvernement de la Chine; il publie d’ailleurs certains de ses livres à Hong Kong et à Singapour pour contourner la censure en Chine. Et il réclame un retour au confucianisme. Haut et fort.

Kang étant un cas de figure qui rejoint les préoccupations de notre blogue, j’ai décidé de faire de lui le sujet de notre première « Exploration » et de monter sur le blogue ma conférence, à mesure que je la rédige. Dans mon prochain billet, je m’attacherai à la carrière intellectuelle de Kang avant qu’il n’affiche ses couleurs confucéennes.

David Ownby

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